Urbanisme, aménagement et foncier
le 12/12/2024

Exercice du droit de rétrocession de l’exproprié : constitutionnel… sous réserve

CC, 22 novembre 2024, Décision QPC n° 2024-1112

Par une question prioritaire de constitutionnalité rendue n° 2024-1112 le 22 septembre 2024, le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique concernant l’exercice du droit de rétrocession, mais ce sous réserve d’une interprétation.

 

Pour rappel, si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans un délai de 5 ans à compter de l’intervention de l’ordonnance d’expropriation, la destination pour laquelle ils ont été expropriés ou ont cessé de recevoir cette destination, il est octroyé à l’ancien propriétaire un droit de rétrocession lui permettant d’acquérir de nouveau son ancienne propriété. Si l’ancien propriétaire décide d’exercer son droit de rétrocession, le prix d’acquisition sera fixé, comme en matière d’expropriation (à savoir à l’amiable ou, à défaut, par décision judiciaire).

L’article L. 421-3 du Code de l’expropriation, contesté dans le cadre de ce recours, intervient à la suite de cette fixation du prix de rachat et dispose qu’« à peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation, soit à l’amiable, soit par décision de justice ».

Il en résulte ainsi que l’expropriant et l’ancien exproprié dispose d’un délai d’un mois pour réaliser les formalités nécessaires à la cession du bien (rédaction et signature de l’acte authentique de vente) et pour s’acquitter du paiement du prix de rachat, à défaut de quoi l’ancien exproprié – désormais acquéreur par rétrocession – sera considéré comme déchu de son droit.

En d’autres termes, si lesdites formalités ne sont pas réalisées dans le délai imparti d’un mois, l’expropriant est libéré de son obligation de revendre le bien à l’ancien exproprié, qui ne pourra plus prétendre à un quelconque droit de propriété sur ledit bien.

Cette disposition a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation à l’issue d’une décision de renvoi en date du 5 septembre 2024.

En l’espèce, plusieurs expropriés avaient exercé leur droit de rétrocession pour le rachat d’une parcelle expropriée dans le cadre de la création d’une zone d’aménagement concerté. Le prix de rétrocession avait été fixé par un jugement du 14 novembre 2019 mais faute de réalisation des formalités d’acquisition et de paiement du prix, l’Etablissement public foncier du Grand Est leur avait notifié la déchéance de leur droit de rétrocession. Les requérants ont donc saisi le juge judiciaire aux fins de restitution de la parcelle contre le paiement du prix de rétrocession, procédure au terme de laquelle la Cour de cassation a transmis la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Selon les requérants, l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation porte atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en raison de la durée insuffisante laissée aux parties pour s’acquitter des formalités et du paiement, et ce notamment lorsque la méconnaissance de ce délai pourrait résulter du comportement de l’expropriant.

Par sa décision rendue le 22 novembre dernier, les Sages ont confirmé la constitutionnalité de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation au terme d’un raisonnement en deux temps.

D’une part, il a été énoncé que la disposition litigieuse a pour objet de prévenir l’inaction du titulaire du droit de rétrocession. En effet, comme l’a rappelé le représentant du Premier ministre dans ses conclusions, une fois le droit de rétrocession exercé par l’exproprié, l’expropriant, encore propriétaire du bien, ne dispose plus de la pleine disposition de son bien et se trouve notamment dans l’impossibilité de le vendre à un tiers.

Afin de prévenir les atteintes au droit de propriété de l’expropriant (propriétaire), il était donc nécessaire d’encadrer les délais de formalisation du rachat par l’exproprié. Tel est l’objet de la disposition litigieuse.

D’autre part, il est acquis que le délai d’un mois de l’article contesté ne court qu’à compter de la fixation définitive du prix de rachat (à l’amiable ou par décision judiciaire devenue définitive). Or, cette phase de fixation du prix intervient nécessairement après que l’exproprié ai exercé son droit de rétrocession. Aussi, pour le Conseil constitutionnel, il n’est pas fait obstacle à l’exercice du droit de rétrocession.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel émet une réserve d’interprétation de l’article examiné :

« 9. Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, être interprétées comme permettant que la déchéance du droit de rétrocession soit opposée à l’ancien propriétaire ou à ses ayants droit lorsque le non-respect du délai qu’elles prévoient ne leur est pas imputable »

Aussi, l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation ne saurait permettre à un expropriant d’opposer la déchéance du droit de rétrocession à un exproprié ayant exercé son droit de rétrocession alors même que la méconnaissance du délai d’un mois laissé lui serait imputable en raison de son inaction ou son manque de diligences à réaliser les formalités de cession.

C’est sous cette réserve d’interprétation que le Conseil constitutionnel confirme la constitutionnalité de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation.

Cette décision, favorable aux expropriés, ne peut qu’inciter les expropriants comme les expropriés à anticiper la réalisation des formalités de rachat, et ce notamment en cas d’accord amiable sur le prix.

Les expropriants, quant à eux, devront être attentifs à la conservation des justificatifs des diligences opérées, afin de prévenir toute difficulté dans l’hypothèse d’une contestation de l’acquisition de la déchéance du droit de rétrocession.

La décision QPC étant silencieuse sur les modalités d’appréciation de l’inertie de l’expropriant conduisant au non-respect du délai prévu par l’article L. 421-3, désormais déclaré constitutionnel, il reviendra certainement au Juge judiciaire de statuer dans l’avenir sur ces questions.