En décembre 2022, les sociétés Corsica Linea et La Méridionale se sont vues attribuer cinq contrats de prestation de services de transport maritime de passagers et de fret entre Marseille et cinq ports corses pour la période 2023-2030. La France a notifié à la Commission européenne (ci-après, la « Commission ») l’octroi d’une compensation de 853,6 millions d’euros (ci-après, la « Compensation ») à ces sociétés pour la fourniture de ces services.
Pour rappel, en application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État, les entreprises peuvent, moyennant le respect de certains critères, bénéficier d’une compensation destinée à couvrir le surcoût inhérent à la prestation d’un service public dont elles sont chargées de l’exécution. Les États membres peuvent ainsi octroyer des aides d’État pour la prestation de services publics, tout en veillant à ce que les entreprises auxquelles ces services ont été confiés ne bénéficient pas d’une surcompensation, ce qui permet de réduire au maximum les distorsions de concurrence et de garantir une utilisation efficiente des ressources publiques.
L’une des conditions essentielles pour octroyer des compensations de service public à une entreprise est que cette dernière soit effectivement chargée d’un service public ou pour reprendre la terminologie européenne d’un service d’intérêt économique général (ci-après, « SIEG »). Or, si les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation quant à la définition de ce qu’ils considèrent être un SIEG, la Commission exerce un contrôle sur cette qualification (lequel demeure, en principe, limité à l’erreur manifeste d’appréciation).
Le principal contrôle exercé par la Commission sur la qualification des SIEG est que les États membres ne qualifient pas de tels des services qui sont satisfaits par le jeu normal du marché. La Commission « considère [effectivement] qu’il ne serait pas opportun d’assortir d’obligations de service public spécifiques une activité qui est déjà fournie ou peut l’être de façon satisfaisante et dans des conditions (prix, caractéristiques de qualité objectives, continuité et accès au service) compatibles avec l’intérêt général, tel que le définit l’État, par des entreprises exerçant leurs activités dans des conditions commerciales normales »[1].
En l’espèce, la Commission a précisément considéré qu’elle avait besoin d’informations supplémentaires pour déterminer si la compensation publique versée aux sociétés Corsica Linea et La Méridionale était conforme aux règles de l’UE en matière d’aides d’État. Elle souhaitait en particulier s’assurer qu’il était véritablement nécessaire de qualifier de SIEG certaines prestations confiées à ces entreprises et de leur imposer des obligations de service public. La Commission a par conséquent décidé d’ouvrir une enquête approfondie afin d’apprécier si :
- l’inclusion du transport de marchandises par camions remorques et des conducteurs de poids lourd dans les contrats est justifiée par un besoin de service public, compte tenu de la présence sur le marché d’une offre commerciale développée depuis le port voisin ;
- le volume du trafic de fret devant être transporté en vertu des contrats ne dépasse pas le besoin de service public défini par les autorités françaises.
Après avoir procédé à un examen approfondi des informations qui lui ont été communiquées dans le cadre de cette enquête, la Commission a considéré que l’offre du marché disponible dans le port de Marseille et les ports voisins n’était pas en mesure d’absorber la totalité de la demande des utilisateurs pour leur trafic de marchandises par camions remorques avec la Corse. Partant, elle a conclu à l’existence d’une carence de l’initiative privée et à la possibilité de qualifier le transport de marchandises par camions remorques et des conducteurs de poids lourd de SIEG ainsi que d’imposer des obligations de service public aux sociétés attributaires pour satisfaire ce service. En outre, la Commission a également constaté que les volumes minimaux de fret à transporter fixés par les contrats de service public n’étaient manifestement pas disproportionnés au regard des besoins constatés.
Dès lors que les autorités françaises n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans la qualification du SIEG et que le montant de la Compensation était strictement limité à ce qui était nécessaire pour compenser les obligations de service public mises à la charge des sociétés attributaires, la Commission a autorisé ladite compensation en vertu des règles de l’Union en matière d’aides d’État.
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[1] Communication de la Commission relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général, 2012/C 8/02, 11 janvier 2012.