Propriété intellectuelle
le 27/09/2024
Audrey LEFEVRE
Gabrielle LAMBERT
Zoé LE MORVAN THOMAS

Droit des marques et des indications géographiques : nouveaux rebondissements dans la saga judiciaire Laguiole

CA Aix-en-Provence, 11 juillet 2024, n° 22-13284

La saga sur les couteaux Laguiole continue d’occuper les prétoires, posant des questions relatives au droit des marques, à la protection du nom d’une Commune et, plus récemment, aux indications géographiques et appellations d’origine.

1. C’est d’abord sur des questions de droit des marques que les débats ont porté.

Dans les années 1990, un certain Monsieur Szajner a déposé plusieurs marques « Laguiole », au niveau français et européen, pour des produits très variés puisque ne se limitant pas aux produits de la coutellerie, et mis en place un système de licence permettant à diverses entreprises d’exploiter ces marques contre redevance.

En 2010, s’estimant spoliée, la Commune de Laguiole a saisi le Tribunal de grande instance de Paris afin d’obtenir l’annulation des marques litigieuses. Déboutée en 2012 par un jugement confirmé en appel en 2014[1], la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en 2016[2] et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris. Celle-ci a annulé les marques litigieuses, pour les produits de la coutellerie, au visa de l’article L. 711-4 h du Code de la propriété intellectuelle (devenu l’article L. 711-4 9°) en retenant l’atteinte au nom, à l’image ou à la renommée de la collectivité territoriale[3] : en procédant ainsi, l’entrepreneur avait établi une stratégie ayant pour effet de priver la Commune et ses administrés de l’usage du nom Laguiole dès lors que les marques déposées lui permettaient d’agir en contrefaçon conte les commerces locaux de la commune de Laguiole au titre de l’utilisation de ses marques.

Au niveau européen, la société La Forge de Laguiole, établie sur le territoire de la Commune de Laguiole, a saisi la Cour de justice de l’Union européenne et obtenu, en 2017[4],  l’annulation partielle (pour les produits relevant de l’activité de La Forge de Laguiole, tels que la coutellerie et les couverts) de la marque européenne déposée par Monsieur Szajner.

Si ces décisions ont été favorables à la Commune de Laguiole, leur effet est demeuré toutefois relatif puisque les annulations prononcées se sont limitées aux produits de coutellerie et de couverts (de la classe 8), Monsieur Szajner pouvant continuer à utiliser ses marques pour les autres produits déposés.

C’est du fait de cette saga judiciaire notamment que la loi Hamon[5] a créé, en 2014, une procédure d’alerte par l’INPI (Institut Nationale de Propriété Industrielle) permettant à toute collectivité territoriale d’être alertée de toute demande d’enregistrement d’une marque contenant sa dénomination (article L. 712-2-1 du Code de la propriété intellectuelle).

2. Aujourd’hui, les débats se poursuivent sur le terrain des indications géographiques.

La loi Hamon a en outre permis d’étendre la notion d’indication géographique aux produits manufacturés (« IGPIA »), notion initialement prévue pour protéger et garantir l’origine de certains produits agricoles, viticoles et naturels, par les articles L. 721-2 à L. 721-10 du Code de la propriété intellectuelle.

L’indication géographique est définie par l’INPI comme un signe qui peut être utilisé sur des produits qui ont une origine géographique précise et qui possèdent des qualités, une notoriété ou des caractéristiques liées à ce lieu d’origine. Pour les collectivités, elle permet de protéger leur patrimoine et de mettre en avant leurs savoir-faire territoriaux en permettant distinguant un produit originaire d’une zone géographique déterminée et dont les caractéristiques sont liées à cette zone géographique. Ces caractéristiques sont décrites dans un cahier des charges, devant faire l’objet d’une homologation, que les producteurs s’engagent à respecter et sur lequel ils sont contrôlés par un organisme indépendant.

En septembre 2022, l’IGPIA « couteau Laguiole » a ainsi été homologuée par une décision de l’INPI après dépôt de l’association CLAA (pour Couteau Laguiole Auvergne Aubrac) basée dans la Commune de Thiers (située dans le Puy de Dôme alors la Commune de Laguiole est située dans le département de l’Aveyron). La zone géographique retenue était alors bien plus large que la Commune de Laguiole, couvrant 94 Communes situées sur 6 départements. Cette décision de l’INPI a été vivement critiquée par le Syndicat des Fabricants Aveyronnais du Couteau de Laguiole (SFACL) et par la Commune d’autant qu’elles avaient, quelques mois plus tôt, vu leur candidature pour obtenir l’IGPIA « couteau de Laguiole » sur un territoire plus restreint refusée par l’INPI. Elles ont introduit une action en annulation de cette homologation.

C’est dans ce contexte que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a annulé, le 11 juillet 2024[6], ces deux décisions de l’INPI en considérant que « la réputation initiale du couteau originaire de Laguiole est bien intimement liée à son origine, Laguiole, et au savoir-faire de ses couteliers » et que « cette désignation ambiguë constitue une source d’incertitude pour le consommateur qui ne pourra immédiatement identifier le produit comme provenant du lieu géographique associé au nom de l’IGPIA ». La Cour d’appel a par ailleurs ordonné la réouverture des débats sur la demande de dommages et intérêts formée par le SFACL à l’encontre de M. le Directeur général de l’INPI en réparation d’une faute commise dans l’instruction de la demande d’indication géographique Couteau de Laguiole.

Ainsi, l’IGPIA, dont le dossier est renvoyé devant l’INPI pour février 2025, devrait revenir au seul territoire de Laguiole.

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[1] TGI Paris,13 septembre 2012, n° 12/02742 et CA Paris, Pôle 5, 4 avril 2014, n° 2012/20559

[2] Cass. Com, 4 octobre 2016, n° 14-22.245

[3] CA Paris, 5 mars 2019, n° 17/04510

[4] CJUE, 5 avril 2017, affaire C‑598/14, EUIPO/Gilbert Szajner

[5] Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon » 

[6] CA Aix-en-Provence, 11 juillet 2024, n°22-13284