Par un arrêt en date du 11 juillet 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée sur la compatibilité d’une disposition italienne prévoyant l’incorporation au domaine public des ouvrages réalisés par un occupant privatif, même en cas de renouvellement du titre d’occupation. En l’espèce, la Sociétà Italiana Imprese Balneari Srl (SIIB) était titulaire d’une concession d’occupation domaniale conclue avec la commune de Rosignano Marittimo en vue de l’exploitation d’un complexe balnéaire situé sur le domaine public maritime.
Entre l’expiration et le renouvellement de la concession, la commune a décidé, sur le fondement de l’article 49 du Code de la navigation, d’incorporer au domaine public maritime certains ouvrages réalisés par la SIIB qualifiés « d’accessoires au domaine public » du fait de leur caractère difficilement supprimable.
La SIIB a alors décidé de contester la décision de la commune devant le juge administratif italien, considérant que l’article 49 du Code de la navigation relatif au mécanisme d’incorporation des ouvrages au domaine public constituait une entrave à la liberté d’établissement, conformément à l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’union européenne (TFUE). C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat italien a décidé de sursoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle relative à la compatibilité entre lesdites dispositions.
En substance, la Cour considère que le mécanisme d’incorporation ne méconnait pas en tant que tel la liberté d’établissement et ce, même en cas de renouvellement de la concession. D’abord, la disposition de droit italien ne méconnait pas la liberté d’établissement car :
- Elle est opposable à tous les opérateurs exerçant des activités sur le territoire national (1) ;
- Elle ne porte pas sur les conditions de l’établissement des concessionnaires du domaine public (2) ;
- Ses effets restrictifs sur la liberté d’établissement sont trop aléatoires et indirects pour que la disposition puisse être regardée comme étant de nature à entraver cette liberté (3).
Sur ce dernier point, la Cour explique que l’article 49 du Code de la navigation « se borne à tirer les conséquences des principes fondamentaux de la domanialité publique » car « l’appropriation gratuite et sans indemnisation par la personne publique concédante des ouvrages inamovibles construits par le concessionnaire sur le domaine public constitue l’essence même de l’inaliénabilité du domaine public ». Surtout, la disposition n’est pas de nature à entraver la liberté d’établissement dès lors qu’elle prévoit la possibilité de déroger contractuellement au principe d’incorporation immédiate sans aucune indemnité ni remboursement. Ensuite, la Cour estime que cette interprétation vaut même dans l’hypothèse où la concession domaniale a vocation à être renouvelée.
Pour la Cour, « le renouvellement d’une concession d’occupation du domaine public se traduit par la succession de deux titres d’occupation du domaine public et non par la perpétuation ou la prorogation du premier ». Sur ce dernier point, l’interprétation de la CJUE peut être mise en parallèle avec celle du juge français. La France dispose d’un mécanisme équivalent prévu aux articles L. 2122-9 du Code général de la propriété des personnes publiques (pour le domaine public de l’Etat et ses établissements) et L. 1311-7 du Code général des collectivités territoriales (pour le domaine public des collectivités, leurs groupements et de leurs établissements). Conformément à ces dispositions, à l’issue du titre d’occupation, les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier existant sur la dépendance domaniale occupée doivent être démolis soit par le titulaire de l’autorisation, soit à ses frais, à moins que leur maintien en l’état n’ait été prévu expressément par le titre d’occupation ou que l’autorité compétente ne renonce en tout ou partie à leur démolition.
Dans cette seconde hypothèse, c’est-à-dire, si l’autorité domaniale et l’occupant s’accordent pour que les ouvrages ne soient pas démolis et restent sur le domaine public, la personne publique en devient propriétaire grâce au mécanisme de l’accession. Comme en droit italien, ce mécanisme d’incorporation au domaine public trouve sa source dans le principe d’inaliénabilité du domaine public dont la vocation est de protéger l’affectation du domaine à l’utilité publique.
Pour la Cour, le renouvellement d’une concession d’occupation du domaine public se traduit par la succession de deux titres d’occupation du domaine public et non par la perpétuation ou la prorogation du premier. Cette interprétation diffère de celle du juge administratif français pour lequel le renouvellement se traduit par la continuité du titre et fait obstacle à l’application du mécanisme de l’accession. Autrement dit, en cas de renouvellement, l’occupant conserve la propriété de ses ouvrages (CE, 13 novembre 2013, Union des coopératives agricoles Epis-Centre Nord, n° 351530, CE, 21 novembre 1978, n° 72878).