Nouvelle pierre à l’édifice du contentieux de la régularisation mis en place par le Conseil d’Etat : un vice affectant la légalité d’une déclaration d’utilité publique (DUP) ne peut pas faire l’objet d’une régularisation en cours d’instance. Au terme d’un arrêt du 14 juin dernier, le Conseil d’Etat refuse d’étendre la jurisprudence commune de Grabels[1] au vice invoqué à l’encontre d’une DUP par voie d’exception dans le cadre d’un recours en vue de l’annulation de l’arrêté de cessibilité. Les requérants, propriétaires de parcelles déclarées cessibles par arrêté préfectoral à la suite d’un arrêté déclarant d’utilité publique la zone d’aménagement concerté « Littorale », ont tenté d’obtenir l’annulation de l’arrêté de cessibilité du 27 février 2017 en soulevant un vice de procédure d’adoption de la DUP.
Après un premier passage devant la 6ème chambre du Conseil d’Etat, ce dernier ayant jugé le vice régularisable, la Cour administrative d’appel de Marseille a, de nouveau, annulé l’arrêté de cessibilité estimant que le vice n’était ni régularisé, ni régularisable. Un nouveau pourvoi a été formé par l’établissement public d’aménagement en charge du projet et le ministre de la transition écologique. Estimant que le vice était régularisable, les requérants soutenaient que la jurisprudence Commune de Grabels du 9 juillet 2021 (n° 437634, publié au Recueil) s’appliquait au cas présent. Pour rappel, cette jurisprudence étend le mécanisme de la régularisation (notamment mis en place pour les autorisations d’urbanisme) aux déclarations d’utilité publique. Elle permet au juge de surseoir à statuer en vue de la régularisation d’un tel acte dans le cadre d’un contentieux en annulation engagé directement contre la DUP. Estimant qu’une telle régularisation était possible par voie d’exception, les requérants n’ont pas hésité à saisir une deuxième fois le Conseil d’Etat en vue d’obtenir la régularisation du vice affectant la DUP du projet à l’occasion du contentieux contre l’arrêté de cessibilité. Telle était aussi la position partagée par Monsieur le Rapporteur public Nicolas Agnoux dans cette affaire.
Toutefois, par un arrêt mentionné aux tables du recueil Lebon, par un fichage B, le Conseil d’Etat, statuant en 6ème et 5ème chambres réunies, en a décidé autrement, estimant que si une régularisation de la DUP était possible dans l’hypothèse d’un contentieux par voie d’action, il en était autrement dans l’hypothèse de telle demande formulée par voie d’exception :
« 2. En premier lieu, si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un acte déclarant d’utilité publique et urgents des travaux, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Il en va toutefois différemment lorsqu’est invoqué par voie d’exception, à l’appui de conclusions dirigées contre un arrêté de cessibilité, un vice affectant l’acte déclaratif d’utilité publique sur le fondement duquel cet arrêté de cessibilité a été pris. Dans cette hypothèse, un tel vice est insusceptible d’être régularisé dans le cadre du recours dirigé contre l’arrêté de cessibilité ».
En refusant de permettre la régularisation d’une DUP dont le vice entachant la légalité est invoqué par voie d’exception à l’encontre de l’arrêté de cessibilité, la Haute Cour affirme ainsi une certaine indépendance de ces deux actes, limitant les effets tirés de sa jurisprudence sur les liens entre DUP et arrêté de cessibilité. En effet, le Conseil d’Etat reconnaît que la DUP et l’arrêté de cessibilité forment une opération complexe admettant que la légalité d’une déclaration d’utilité publique, même définitive, puisse être contestée par voie d’exception dans le cadre d’un contentieux engagé contre l’arrêté de cessibilité (CE, 4 août 2021, Commune de Mitry-Mory, req. n° 458524). Pour autant, si ces deux actes font partie d’une opération complexe entrainant des annulations en cascade en cas de vices entachant leur légalité, ce lien ne va pas jusqu’à permettre d’obtenir la régularisation de la DUP par voie d’exception dans la cadre d’un sursis à statuer, le Conseil d’Etat s’y opposant fermement.
En conséquence, si le juge administratif est doté d’un pouvoir de régularisation dans le cadre d’un recours par voie d’action à l’encontre de la DUP, il en est dépourvu lorsque celle-ci est attaquée par voie d’exception lors d’un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté de cessibilité.
[1] CE, 2èmes et 7èmes chambres réunies, 9 juillet 2021, n° 437634, fiché A.