Vie des acteurs publics
le 11/07/2024

Laïcité : le juge administratif rappelle que le principe de neutralité ne s’applique pas aux élus locaux

TA de Grenoble, 7ème, 7 juin 2024, n° 2100262

Par un jugement remarqué rendu le 7 juin 2024, le Tribunal administratif de Grenoble rappelle qu’interdire de façon générale aux élus qui siègent au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leurs convictions religieuses est illégal car le principe de neutralité ne s’applique pas aux élus locaux.

Le fait pour un agent public de manifester ses croyances religieuses – notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion – dans l’exercice de ses fonctions (et dans certains cas particuliers hors de ses fonctions) constitue un manquement à l’obligation de neutralité à laquelle il est tenu et donc une faute[1]. Par cette obligation de neutralité imposée aux agents publics, il s’agit au fond de préserver le respect de toutes les croyances religieuses des usagers du service public, en leur assurant une stricte égalité d’accès et de traitement. Les élus bénéficient au contraire d’une très grande liberté dans le cadre de l’exercice de leur mandat, et ce dès le stade de la candidature. Ainsi, et alors même qu’ils ne sont que candidat à leur élection, aucune obligation de neutralité religieuse ne peut leur être opposée[2].

Cette même liberté d’expression religieuse vaut également une fois élu, et notamment au cours des séances de l’organe délibérant de la collectivité. Ainsi avait-t-il était jugé que le maire qui prive de parole un conseiller municipal, au motif qu’il porte un signe religieux, se rend coupable de discrimination dès lors qu’il n’est pas établi que le seul port d’un signe d’appartenance religieuse soit constitutif de troubles à l’ordre public et qu’aucune disposition législative ne permet au maire dans le cadre des séances du conseil municipal d’interdire aux élus de manifester publiquement leur appartenance religieuse[3]. Il en résulte que les élus peuvent exprimer, ne serait-ce que par le port d’un signe religieux visible, leurs opinions religieuses en conseil municipal.

Le maire ne saurait donc a fortiori interdire la présence d’un élu aux séances du conseil municipal au seul motif qu’il porterait un signe d’appartenance religieuse. C’est ce que viens rappeler le Tribunal administratif de Grenoble dans son jugement du 7 juin 2024. En l’occurrence, un conseil municipal avait adopté, au sein de son règlement intérieur, un article relatif à la police de l’assemblée qui prévoyait que : « une tenue vestimentaire correcte et ne faisant pas entrave au principe de laïcité est exigée des élus siégeant au conseil municipal ». Alors que plusieurs élus d’opposition avaient déféré à la censure du juge administratif la délibération afférente, celui-ci a d’abord relevé que ces dispositions avaient pour effet, si ce n’est pour objet, d’interdire, de manière générale, aux élus siégeant au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leur appartenance à une religion.

Il a ensuite indiqué que si, dans le cas où la tenue vestimentaire d’un élu municipal provoque un trouble à l’ordre public ou contrevient au bon fonctionnement de l’assemblée délibérante, il appartient au maire de prendre les mesures strictement nécessaires pour y remédier dans l’exercice de son pouvoir de police de l’assemblée, la liberté des élus municipaux d’exprimer leurs convictions religieuses ne peut être encadrée que sur le fondement de dispositions législatives particulières prévues à cet effet (en l’occurrence l’article L. 2121-16 du Code général des collectivités territoriales qui confie au maire la police de l’assemblée). Surtout, il a utilement rappelé qu’« il ne résulte d’aucune disposition législative que le principe de neutralité religieuse s’applique aux élus locaux ».

Par suite, le tribunal administratif a jugé les dispositions du règlement intérieur illégales en ce qu’elles interdisaient, de manière générale, aux élus siégeant au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leur appartenance à une religion.

 

[1] CE, avis, 3 mai 2000, n° 217017.

[2] CE, 23 décembre 2010, n° 337899.

[3] Cass., Crim. 1er septembre 2010, n° 10-80.584.