Vie des acteurs publics
le 23/05/2024

SOS Méditerranée : les collectivités peuvent subventionner une action humanitaire internationale

CE, 13 mai 2024, n° 472155

CE, 13 mai 2024, n° 474507

CE, 13 mai 2024, n° 474652

L’article L. 1115-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) autorise, « dans le respect des engagements internationaux de la France », les collectivités territoriales et leurs groupements à « mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire » – cette aide prenant dans bien des cas la forme d’une subvention.

Au titre de cette action extérieure, plusieurs tribunaux administratifs avaient déjà admis la légalité des interventions des collectivités locales venant en aide aux associations secourant les migrants en mer[1]. Récemment, deux cours administratives d’appel s’étaient prononcées de manière contradictoire sur l’octroi de subventions à l’association SOS Méditerranée qui mène une activité de sauvetage en mer de migrants dans les eaux internationales[2].

Par trois arrêts rendus le 13 mai dernier, la section du contentieux du Conseil d’Etat précise le cadre juridique des actions extérieures des collectivités territoriales qui interviennent en soutien d’actions internationales à caractère humanitaire. Les affaires en litige portaient sur l’attribution de subventions (100 000 € par la Ville de Paris, 20 000 € par le département de l’Hérault et 15 000 € par la ville de Montpellier) à l’association SOS Méditerranée.

La Haute juridiction rappelle d’abord que la loi permet aux collectivités territoriales de mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire, sans que cette action n’ait à répondre à un intérêt public local, à s’inscrire dans les autres domaines de compétences des collectivités territoriales ou à impliquer une autorité locale étrangère (point 5 de l’arrêt).

Ces actions doivent, aux termes de la loi, respecter les engagements internationaux de la France. Elles ne doivent pas interférer avec la conduite par l’État des relations internationales de la France. Enfin, ces actions ne peuvent pas conduire une collectivité territoriale à prendre parti dans un conflit de nature politique (point 7 de l’arrêt).

Sur ce dernier point, le Conseil d’Etat estime que, si le simple fait qu’une organisation prenne des positions dans le débat public n’interdit pas à une collectivité territoriale de lui accorder un soutien pour des actions mentionnées à l’article L. 1115-1 du CGCT, c’est à la condition que cette action ne constitue pas en réalité une action à caractère politique et que la collectivité territoriale qui décide d’apporter son soutien à une telle organisation s’assure que son aide sera exclusivement destinée au financement d’une action de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire, et ne sera pas utilisée pour financer les autres activités de cette organisation (points 7 et 8 de l’arrêt).

Le cadre juridique applicable ayant été rappelé et précisé, le Conseil d’Etat considère qu’une collectivité territoriale peut légalement apporter un soutien financier à l’association SOS Méditerranée pour son action humanitaire de sauvetage en mer.

Il juge à cet égard que l’activité de sauvetage en mer de SOS Méditerranée est bien une action internationale à caractère humanitaire, et non une action de nature politique. Il relève qu’elle est menée en conformité avec les principes du droit maritime international, qui prévoient l’obligation de secourir les personnes se trouvant en détresse en mer, et de les débarquer dans un lieu sûr dans un délai raisonnable, quel que soit leur nationalité ou leur statut, et juge qu’elle n’est pas contraire aux engagements internationaux de la France. Il relève également que si les autorités de certains États de l’Union européenne ont pu refuser le débarquement des navires de l’association, celle-ci y a déféré, et que les autorités françaises ont d’ailleurs contesté la conformité de ces refus au droit maritime international, et juge que, dans ces conditions, cette activité ne peut être regardée comme interférant avec la conduite par l’État des relations internationales de la France.

Il ajoute que le fait que les responsables de SOS Méditerranée aient pris des positions dans le débat public sur la politique de l’Union européenne et de certains États en matière de sauvetage en mer des migrants en Méditerranée ne suffit pas à interdire aux collectivités territoriales d’apporter un soutien à son activité opérationnelle de sauvetage en mer, à condition de réserver ce soutien à cette seule activité.

Sur le fond, la section du contentieux juge que la subvention accordée par la ville de Paris (n° 472155) « est exclusivement destinée à financer l’affrètement d’un nouveau navire en vue de permettre à l’association de reprendre ses activités de secours en mer ». Il estime également que la convention conclue avec SOS Méditerranée prévoit que l’utilisation de la subvention à d’autres fins que l’activité de sauvetage en mer entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées et que la ville de Paris peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s’assurer du respect de ces obligations. Le Conseil d’État en déduit que la destination de ce soutien est donc suffisamment encadrée. Pour les mêmes motifs, le Conseil d’Etat rejette également le recours contre la subvention accordée par le département de l’Hérault (n° 474507).

En revanche, celle attribuée par la commune de Montpellier (n° 474652) est annulée, aucun élément ne permettant d’établir « que la commune se serait assurée, […], que son aide serait exclusivement destinée au financement de l’action internationale à caractère humanitaire qu’elle entendait soutenir ». Notons que dans cette dernière affaire, la haute juridiction juge qu’une délibération « qui a pour objet d’accorder une subvention, a par elle-même une incidence directe sur le budget communal, [ce] qui suffit à conférer à un requérant établissant sa qualité de contribuable communal un intérêt pour agir », sans qu’il soit nécessaire d’établir que les conséquences directes de cette délibération sur les finances communales seraient d’une importance suffisante.

 

[1] V. en ce sens TA Montpellier, 19 octobre 2021, n° 2003886 ; TA Paris 12 septembre 2022, n° 1919726 ; TA Nantes, 19 octobre 2022, n° 202012829.

[2] CAA Bordeaux, 7 février 2023, n° 20BX04222 ; CAA Paris, 3 mars 2023, n° 22PA04811.