Vie des acteurs publics
le 23/05/2024

Recours contentieux : le cachet de la poste fait désormais foi

CE, 13 mai 2024, n° 466541

Le Conseil d’Etat fait évoluer sa jurisprudence en considérant qu’un recours contentieux envoyé par voie postale ne doit plus désormais être parvenu à la juridiction administrative avant la fin du délai de recours mais doit être posté avant l’expiration de ce délai, le cachet de la poste faisant foi. Avant l’intervention de cet arrêt de Section et selon une jurisprudence constante, la tardiveté d’un recours contentieux formé par voie postale (et via le téléservice Télérecours) était appréciée au regard du jour de la présentation du pli au greffe de la juridiction[1].

Sous réserve des cas où la loi permet de remettre le recours à une autorité administrative chargée de le transmettre à la juridiction (comme c’est le cas en matière électorale), la jurisprudence a toujours refusé de prendre en compte la date d’un acte antérieur au dépôt au greffe, même s’il manifestait l’intention d’engager la procédure contentieuse[2]. Ainsi, selon cette jurisprudence, il appartenait au requérant de poster son recours suffisamment à l’avance pour qu’il parvienne à la juridiction avant le terme du délai. Cela étant, un recours présenté tardivement restait néanmoins recevable s’il avait été remis aux services des postes « en temps utile », pour y parvenir à temps selon « les délais normaux d’acheminement du courrier »[3].

En pratique, la jurisprudence retenait le plus souvent qu’un recours posté deux jours ouvrables (48 heures) avant l’expiration du délai pouvait être considéré comme remis en temps utile[4]. Or, l’évolution de cette jurisprudence apparaissait souhaitable et/ou nécessaire pour au moins trois séries de considérations relevées par le rapporteur public dans ses conclusions.

D’abord en raison de ses difficultés d’application géographique qui, notamment outre-mer, rendait la notion de « délai normal d’acheminement » particulièrement aléatoire avec des jurisprudences incertaines et parfois contradictoires.

Ensuite du fait de la réforme du service postal universel entrée en vigueur le 1er janvier 2023. En effet, les délais de la plupart des offres de distribution du courrier ont évolué vers un nouveau standard de délai d’acheminement en J+3, évolution qui semblait faire obstacle à ce que soit maintenue la règle des 48 heures précitée. Notons enfin que les justiciables qui utilisent le téléservice Télérecours pouvaient déposer leur recours contentieux jusqu’au dernier jour du délai de recours tandis que la règle de la date d’enregistrement contraignait les justiciables qui envoient leur recours par voie postale à le poster plusieurs jours avant l’expiration de ce délai pour être certains qu’il parvienne dans les temps à la juridiction. A l’occasion de sa décision rendue le 13 mai dernier, le Conseil d’Etat a donc fait évoluer la jurisprudence en jugeant que, pour les recours par voie postale, le respect du délai s’apprécie désormais à la date d’envoi du courrier, attestée par le cachet de la poste.

Ce faisant, le Conseil d’Etat procède à une double harmonisation. D’une part, les justiciables bénéficient désormais, en pratique, du même délai de recours qu’ils utilisent ou non le téléservice Télérecours. D’autre part, les règles de délai sont désormais identiques pour les citoyens, qu’ils saisissent la justice ou l’administration. En effet, la règle du cachet de la poste faisant foi est déjà celle qui s’applique chaque fois qu’une personne est tenue, à l’égard de l’administration, de respecter une date limite pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document (article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l’administration).

 

[1] V. en ce sens CE, 27 février 1885, élections de Prétin, Rec. p. 251 ; CE, 30 décembre 1998, Epoux Serot, n° 167843 ; CE, 30 juillet 2003, Mme Chenilco, n° 240756.

[2] V. sur ce point CE, 2 février 1864, Oxéda, Rec. p. 69.

[3] V. en ce sens CE, 14 janvier 1910, Sieur Levallois, Rec. P. 25.

[4] V. par ex. CE, 3 juin 1991, Société Dormeuil, n° 61896.