Contrats publics
le 15/12/2022

Marché de maîtrise d’œuvre : prolongation de la responsabilité du mandataire du groupement solidaire au-delà de la réception des travaux

CE, 12 octobre 2022, Communauté d’agglomération du Grand Angoulême, n° 455188, mentionné aux tables du Recueil Lebon

Par un arrêt en date du 12 octobre 2022, le Conseil d’Etat a étendu la solution qu’il avait retenu dans sa décision Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer (CE, Section du Contentieux, 06 avril 2007, req. n° 264490, Publié au recueil Lebon) pour juger que la date de réception marque certes la fin des relations contractuelles mais demeure sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution d’un marché de maîtrise d’œuvre, qui lient le mandataire au titre de l’engagement solidaire.

S’agissant du contexte, rappelons que la communauté d’agglomération du Grand Angoulême avait confié un marché de maîtrise d’œuvre relatif à la construction d’une médiathèque à un groupement conjoint avec mandataire solidaire et que, postérieurement à la réception de l’ouvrage, la communauté d’agglomération a émis à l’encontre dudit mandataire un titre exécutoire d’un montant de 62 535,72 euros.

Saisi d’une demande du mandataire d’annuler ce titre exécutoire ainsi que de la décharger de l’obligation de payer la somme de 62 535,72 euros, le tribunal administratif de Poitiers a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la demande tendant à l’annulation du titre exécutoire. En revanche, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé ce jugement et le titre exécutoire litigieux et a déchargé cette société de l’obligation de payer la somme demandée, au motif « que la responsabilité de la société FRA Architectes ne pouvait plus être recherchée en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d’œuvre à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d’œuvre s’était achevée ».

Sur pourvoi de la communauté d’agglomération du Grand Angoulême, le Conseil d’Etat a remis en cause l’arrêt de la Cour.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat a relevé :

  • d’une part, qu’aux termes de l’article 3.1 du CCAG-PI issu du décret du 26 décembre 1978 qui était applicable au marché, « les cotraitants sont conjoints lorsque chacun d’eux n’est engagé que pour la partie du marché qu’il exécute. Toutefois, l’un d’entre eux, désigné dans l’acte d’engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l’égard de la personne responsable du marché, jusqu’à la date où ces obligations prennent fin» et que « cette date est soit l’expiration de la garantie technique prévue à l’article 34, soit, à défaut de garantie technique, la date de prise d’effet de la réception des prestations. Le mandataire représente, jusqu’à la date ci-dessus, l’ensemble des cotraitants conjoints vis-à-vis de la personne responsable du marché pour exécution de ce dernier ». ;
  • et, d’autre part, qu’« en vertu de l’article 20 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de maîtrise d’œuvre, la mission du maître d’œuvre s’achève à la fin du délai de garantie de parfait achèvement, d’une durée d’un an, prévu au CCAG-Travaux applicable, ou après la levée des réserves signalées lors de la réception de l’ouvrage si cette levée est plus tardive. Dans cette dernière hypothèse, l’achèvement de la mission intervient lors de la levée de la dernière réserve».

Puis, le Conseil d’Etat a repris le considérant de principe formulé dans sa décision Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer selon lequel :

« La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l’ouvrage d’invoquer, après qu’elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Ainsi, la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l’établissement du solde du décompte définitif. Seule l’intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d’interdire au maître de l’ouvrage toute réclamation à cet égard ».

Enfin, faisant application de ces règles au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a retenu que :

« En jugeant qu’en application des stipulations précitées de l’article 3.1 du CCAG-PI, la responsabilité de la société FRA Architectes ne pouvait plus être recherchée en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d’œuvre à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d’œuvre s’était achevée alors que si cette dernière date marque la fin des relations contractuelles, elle demeure, ainsi qu’il a été dit au point précédent, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, qui lient le mandataire au titre de l’engagement solidaire qu’il a contracté, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. Il suit de là que la communauté d’agglomération du Grand Angoulême est fondée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ».