le 28/08/2015

Valorisation des propriétés publiques : comment solliciter le patrimoine public pour financer des équipements d’intérêt général ?

En ces temps où les contraintes budgétaires sont fortes pour les personnes publiques, l’enjeu du sujet est clair : il s’agit de déterminer comment les personnes publiques peuvent solliciter au mieux la valeur économique qui s’attache à celles de leurs dépendances dont elles n’ont plus immédiatement l’usage, pour obtenir tout à la fois un apport financier immédiat et l’assurance que ces dépendances demeureront affectées à la réalisation d’équipements qui présentent un intérêt général.

Les montages contractuels auxquels les personnes publiques peuvent faire appel pour valoriser ainsi pleinement leur patrimoine reposent sur des contrats de nature immobilière (des contrats de vente ou des contrats de « location » de dépendances publiques), mais qui sont assortis de prescriptions particulières ou d’obligations de travaux mises à la charge de l’acquéreur ou du preneur. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit pour la personne publique d’obtenir de son cocontractant (de l’acquéreur ou du preneur) qu’il s’engage à réaliser sur tout ou partie de l’emprise des équipements qui répondront à un intérêt général : des logements, des bureaux, des équipements culturels ou sportifs, qui, bien que privés, redynamiseront le quartier ; voire même un équipement qui fera retour à la personne publique (une crèche, une bibliothèque, …).

Il convient d’exposer, dans les grandes lignes, les différents montages contractuels qui peuvent, d’une façon ou d’une autre, servir ce double objectif de valorisation du patrimoine public (I.). Le sujet est, de ce point de vue, l’occasion de faire le point sur la disparition programmée de certains des montages qui pouvaient jusqu’à présent être sollicités ; disparition qui s’inscrit dans le cadre de la transposition de la directive sur la passation des marchés publics.

Il faut également apprécier dans quelle mesure ces opérations immobilières, séduisantes à bien des égards, peuvent être sollicitées sans froisser le droit de la commande publique, et parcourir à cette occasion les décisions juridictionnelles récentes ; décisions qui témoignent de ce que l’état du droit est encore loin d’être parfaitement fixé en la matière (II.).

I. – Les différents montages contractuels envisageables

Il convient de distinguer les montages contractuels qui peuvent être sollicités par les personnes publiques suivant qu’ils reposent sur un contrat de vente ou sur un contrat de mise à disposition du domaine.

A. – Les montages contractuels qui reposent sur un contrat de vente

Habituellement qualifiés de « cessions avec charges », il s’agit de montages qui reposent sur la cession d’une dépendance publique, à charge pour l’acquéreur de satisfaire certaines obligations attachées à la destination des constructions qu’il s’engage à édifier. Ces montages permettent à la personne publique d’obtenir immédiatement le versement du prix attaché à la vente d’une parcelle de son domaine privé dont elle n’a plus l’usage et d’avoir l’assurance – à travers l’engagement de l’acquéreur de réaliser tel ou tel équipement – que la dépendance cédée continuera à servir l’intérêt général, à tout le moins pour partie. Et sur ce second terrain, la portée de la valorisation sera naturellement plus ou moins grande suivant que l’acquéreur s’engage à réaliser des équipements privés, mais qui manquaient à la collectivité (des logements, des bureaux, un terrain de football,…), ou bien un équipement public (une crèche, l’extension d’une école, …) qu’il remettra dès son achèvement à la personne publique, par la voie d’une dation en paiement, d’une vente en l’état futur d’achèvement ou d’un simple contrat de mise à disposition. Cette dernière hypothèse demeure toutefois réservée aux cas dans lesquels l’équipement public qui fera retour à la personne publique sera pleinement imbriqué dans un ensemble immobilier à construire « destiné pour sa plus grande part à d’autres propriétaires » (1). On sait en effet que la loi sur la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée impose sinon aux personnes publiques de satisfaire elles-mêmes aux obligations de maître d’ouvrage « lorsque l’objet de l’opération est la construction même pour le compte de la collectivité d’un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu en fonction de ses besoins propres » (2).

B. – Les montages contractuels qui reposent sur un contrat de mise à disposition

Lorsqu’elle ne souhaite pas se séparer définitivement de sa dépendance, la personne publique peut se tourner vers des montages contractuels qui reposent sur des contrats de mise à disposition de longue durée, et qui permettent de confier pour un temps des droits réels – c’est-à-dire les droits et prérogatives du propriétaire – au preneur, tout en lui imposant de réaliser une opération immobilière qui sert (pour partie) l’intérêt général. Les contrats qui peuvent être sollicités à cet effet sont nombreux, et fonction tant du régime domanial de la dépendance concernée (domaine public ou domaine privé) que de la mesure dans laquelle la personne publique souhaite garder la main sur sa dépendance et des objectifs qu’elle poursuit.

Parmi les outils qu’offre le droit privé, le bail à construction (3) peut se révéler particulièrement adapté à la valorisation du domaine privé. En effet, et à la différence d’un bail emphytéotique de droit commun, un bail à construction peut contenir une clause qui restreint l’activité du preneur (4) et soumettre toute construction nouvelle à autorisation de sa part (5). Un tel bail offre donc des possibilités de valorisation importantes : il permet à la collectivité propriétaire de confier à un opérateur le soin de réaliser des équipements donnés qui seront certes purement privés, mais qui pourront lui profiter indirectement, parce qu’ils répondront à un intérêt général et/ou participeront au développement économique du territoire.

Et si la personne publique souhaite aller plus loin, et disposer d’un contrôle plus grand sur l’activité du preneur, elle pourra se tourner vers le bail emphytéotique administratif (BEA) ou l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public (AOT) constitutive de droits réels. Ces contrats présentent bien des similitudes avec le bail à construction (longue durée, octroi de droits réels, possibilité d’imposer une affectation donnée au bien donné à bail,…), mais constituent des contrats administratifs et offrent, en tant que tels, des pouvoirs plus étendus à la personne publique propriétaire ; on pense notamment au pouvoir de résiliation unilatérale. Elle ne pourra toutefois y avoir recours que lorsque le lien entre l’activité du preneur et l’intérêt général sera suffisamment direct : lorsqu’au-delà de la nature même de l’activité (d’intérêt général) exercée par le preneur, il est des éléments qui témoignent de la volonté de la personne publique d’exercer certaines prérogatives en considération de l’importance que présente pour elle l’activité en question (6).

La question se pose toutefois de savoir dans quelle mesure le BEA et l’AOT constitutive de droits réels pourront à l’avenir encore permettre d’obtenir que des équipements d’intérêt général soient réalisés sur des dépendances publiques. On sait qu’ils ont pu être sollicités pour la réalisation d’opération de valorisation d’importance très inégale, et qu’il a été admis que le preneur à bail soit chargé de réaliser un équipement public qui est ensuite immédiatement loué à la personne publique, laquelle verse en contrepartie, et pendant toute la durée de la mise à disposition, des loyers qui vont couvrir les investissements réalisés par l’opérateur (7). Mais ces montages « aller-retour » sont sur le point de disparaître, et ne pourront plus légalement être sollicité à compter du 1er avril 2016 (8). En revanche, et bien que la question puisse se poser, compte tenu de la rédaction sans doute quelque peu ambigüe de l’article 101 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics qui modifie à cet effet les dispositions relatives au BEA et à l’AOT-droits réels, tout porte à croire que ces contrats pourront toujours être sollicités pour confier à un opérateur la réalisation d’équipements privés qui serviront un intérêt général (9).

II. – La nécessité d’une mise en concurrence ?

Il est acquis qu’il n’est pas d’obligation pour une personne publique – si ce n’est pour l’Etat (10) – « de recourir à l’adjudication préalablement à la cession d’un bien immobilier lui appartenant » (11). Et elle n’est pas non plus tenue de mettre en concurrence la « location » des biens immobiliers qui lui appartiennent(12). Mais il est également acquis qu’il en va autrement si, derrière des apparences purement immobilières, le contrat dissimule en réalité un contrat de la commande publique (13) : si l’objet principal du contrat n’est pas une opération immobilière, mais une opération de travaux. A cet égard, si la Cour administrative d’appel de Marseille a tout récemment jugé « qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne lui fait obligation de procéder à des mesures de publicité ou de mise en concurrence préalable, y compris lorsque cette cession comprend en contrepartie une mise à disposition d’une partie des locaux aménagés de façon à permettre l’installation de services administratifs », elle a immédiatement relevé que les contreparties étaient « accessoires » et que la mise à disposition à titre gratuit ne concernait qu’une partie des bâtiments, et seulement pour une durée de trois ans (14). On mesure combien la question est affaire d’espèce.

S’il ne faut sans doute pas exclure dans l’absolu que la cession ou la mise à disposition d’un bien puisse être analysée comme une concession d’aménagement (15), c’est évidemment une qualification en concession de travaux ou en marché public qui vient immédiatement à l’esprit (16).

Il est entendu que le montage, sous réserve qu’il soit conforme à la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique (17), ne devrait pas pouvoir être qualifié de marché public au sens du Code des marchés publics puisque, par définition, ce n’est pas la personne publique qui exercera la maîtrise d’ouvrage des travaux à réaliser.

Mais il peut en revanche être qualifié de marché public ou de concession de travaux au sens de la directive 2004/18 du 31 mars 2004 ou de l’ordonnance du 15 juillet 2009, lesquelles sont cette fois indifférentes à la notion de maîtrise d’ouvrage publique (18). La conclusion peut surprendre au premier regard, à tout le moins lorsque les équipements réalisés par l’opérateur ne vont pas être remis en pleine propriété ou immédiatement loués à une personne publique. Mais il est pourtant aujourd’hui acquis qu’un contrat peut être qualifié de marché public au sens de la directive « indépendamment du fait qu’il est prévu ou non que le pouvoir adjudicateur soit ou devienne propriétaire de tout ou partie de cet ouvrage » (19). La Cour de justice de l’Union européenne l’a rappelé : la notion de marchés de travaux « impose que les travaux faisant l’objet du marché soient exécutés dans l’intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur, sans que, toutefois, il soit nécessaire que la prestation prenne la forme de l’acquisition d’un objet matériel ou physique » (20). Et la Cour administrative d’appel de Lyon a pu faire application de cette solution (21). Tout récemment encore, elle a pu considérer qu’une commune « retire un intérêt économique direct du bail emphytéotique administratif envisagé, puisqu’elle sera propriétaire des constructions réalisées par le preneur à l’issue de ce bail » (22). L’essentiel en la matière est de savoir si, au travers de la cession ou la mise à disposition de son domaine, la personne publique entend satisfaire un intérêt public : il s’agit d’apprécier si la cession est un outil qu’elle sollicite opportunément pour faire réaliser des équipements qu’elle juge nécessaires, non pas pour son usage propre, mais pour servir un objectif politique qu’elle s’est fixé : redonner vie à un quartier, le doter de tel ou tel équipement (un cinéma, une salle de sport…). Pour le mesurer, il convient notamment d’apprécier si la personne publique a pris – ou non – l’initiative du projet et si les équipements réalisés par l’opérateur sont – ou non – quelque peu définis par le contrat, notamment en termes d’affectation et d’importance respective des affectations.

Naturellement, plus les charges qui pèseront sur l’acquéreur ou le preneur par l’effet du contrat seront conséquentes, plus le contrat pourra être analysé comme répondant à un « besoin précisé » par un pouvoir adjudicateur. Mais, là encore, la jurisprudence récente témoigne de ce que la matière est affaire d’espèce et d’appréciation. Là où la Cour administrative d’appel de Versailles a pu juger que ne saurait être regardé comme une opération de travaux publics soumise à la directive 2004/18, un bail emphytéotique administratif mettant à la charge du preneur la construction de quinze logements sociaux et d’un local administratif qui répondait aux besoins de la commune, mais qui n’était qu’accessoire, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé qu’un bail emphytéotique conclu pour la réalisation d’un centre commercial répondait à « des besoins exprimés par la commune, au sens de la directive n° 2004/18 », dès lors que le contrat mettait à la charge du preneur une obligation de réaliser « une construction déterminée » (23).

Et si l’on veut bien se projeter dans l’avenir, et anticiper l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, qui transpose la directive 2014/24/UE (24), il faut croire que les cessions et mises à disposition avec charges pourraient peut-être plus encore être analysées comme des marchés publics, au sens cette fois du droit interne, car elles sont bien souvent des contrats qui mettent à la charge d’un opérateur la réalisation d’un ouvrage répondant aux « exigences fixées » par la personne publique « qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception » (25).

Au-delà, même s’il ne devait pas satisfaire pleinement à la définition du marché ou de la concession, il ne peut être exclu que le contrat soit toutefois soumis à un minimum de mesures de publicité et de mise en concurrence, au titre des « principes généraux de la commande publique » (26). On peut relever à cet égard que la Cour administrative d’appel de Marseille a récemment jugé, au sujet d’un BEA, « qu’alors même que le contrat en cause ne constitue pas un marché soumis au code des marchés publics, et que (…) les dispositions précitées de l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales ne soumettent pas la signature d’un bail emphytéotique administratif à une exigence spécifique de publicité et de transparence, la signature d’un tel contrat n’est pas pour autant exclue du champ d’application des règles fondamentales posées par le traité sur l’Union européenne, qui soumettent l’ensemble des contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs aux obligations minimales de publicité et de transparence propres à assurer l’égalité d’accès à ces contrats ; que le degré de publicité et de transparence de la procédure mise en œuvre par les pouvoirs adjudicateurs doit être adéquat au regard de l’objet, du montant financier et des enjeux économiques du contrat » (27). La solution interroge tant elle semble entrer en contradiction avec l’arrêt du Conseil d’Etat Ville de Paris précité, mais elle témoigne sans doute de ce que le sujet demeure sensible, à tout le moins lorsque sont en cause des contrats dont l’objet va au-delà d’une simple occupation du domaine. Et il ne faut pas en être surpris : si le montage permet ainsi de faire « coup double » – percevoir les fruits d’une dépendance mais également obtenir que des équipements utiles à la vie de la collectivité soient réalisés – il paraît logique qu’il puisse relever de la commande publique. Et la mise en concurrence est du reste de nature à optimiser plus encore la valorisation, puisque la compétition entre les candidats potentiels suscitera d’autant des propositions optimales.

Maeva GUILLERM
Avocat à la cour

(1) CE, Avis, 31 janvier 1995, n° 356960, Rapport du Conseil d’Etat, 1995, p. 407
(2) CE, 8 février 1991, Région Midi-Pyrénées, req. n° 57679
(3) Article L. 251-1 du code de la construction et de l’habitation
(4) Cour de cassation, 7 avril 2004, req. n° 02-16283 ; voir également CA Bordeaux, 29 octobre 2012, SCI Orédon, req. n° 11/01202
(5) Cour de cassation, 5 décembre 2007, req. n° 06-19728
(6) Articles L. 1311-2 et L. 1311-5 du code général des collectivités territoriales.
(7) CE, 25 février 1994, Sofap Marignan, req. n° 144641.
(8) Article 101 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.
(9) Voir sur ce point Vandepoorter A., « Montages domaniaux complexes, une espèce menacée », Le blog du droit des contrats publics, BJCP Online, 23 juillet 2015.
(10) Article R. 3211-2 du code général de la propriété des personnes publiques.
(11) CE 26 octobre 1994, Monier, req. n° 121717 ; CAA Bordeaux, 5 mai 2014, Mme A. B., req. n° 12BX02210.
(12) CE, Section, 3 décembre 2010, Ville de Paris, req. n° 338272.
(13) Conclusions de David Moreau sur CAA Douai 25 octobre 2012, Sté immobilière Carrefour, req.
n° 11DA01951, AJDA, 2013, p. 32.
(14) CAA Marseille, 26 juin 2015, SAS Vauclusienne de Transformation de l’Acier, req. n° 13MA03615.
(15) Conclusions de Frédéric Dieu sur CAA Marseille 25 février 2010, Commune de Rognes, req. n° 07MA03620, AJDA, 2010, p. 1200.
(16) Cette question a fait l’objet d’une étude très complète, rédigée par les professeurs Etienne Fatôme et Philippe Terneyre, « A propos des règles de passation des contrats publics à objet à la fois immobilier et de travaux », AJDA, 2009, pp. 1868 et s. Voy., également, Vandepoorter A., « Montages immobiliers et droit de la commande publique », Cahiers de droit de l’entreprise, 1er septembre 2013.
(17) TA Montpellier 26 juin 2009, Sarran, req. n° 0704910.
(18) CE 3 juin 2009, Commune de Saint-Germain-en-Laye, req. n° 311798.
(19) CJCE 18 janvier 2007, Jean Auroux/Commune de Roanne, C-220/05.
(20) CJCE 25 mars 2010, Helmut Müller GmbH, C-451/08.
(21) CAA Lyon, 4 juillet 2013, Société Apsys/Commune de Moulins, req. n° 12LY01556.
(22) CAA Lyon, 21 mai 2015, Commune d’Aime, req. n° 14LY01692.
(23) CAA Lyon, 21 mai 2015, Commune d’Aime, req. n° 14LY01692.
(24) Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.
(25) Article 5 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.
(26) CAA Marseille 25 février 2010, Commune de Rognes, req. n° 07MA03620.
(27) CAA Marseille, 29 octobre 2012, Société Cinergie, req. n° 10MA02128.