- Fonction publique
le 11/04/2024
Claire JACQUIER
Damien SIMON

Une demande de protection fonctionnelle n’est pas un document administratif communicable

CE, 11 mars 2024, n° 454305

Dans une décision en date du 11 mars 2024, le Conseil d’Etat a jugé que la communication d’une demande de protection fonctionnelle porte, par elle-même, préjudice à la personne qui a formulé cette demande et doit donc, dans tous les cas, être refusée.

En principe, toute personne a le droit à la communication des documents administratifs détenus par les personnes publiques. Néanmoins, afin de protéger la sensibilité de certaines informations, l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) énumère les hypothèses dans lesquelles les documents ne sont communicables qu’à l’intéressé. Tel est le cas des documents « faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ». L’Administration doit alors, sous le contrôle du juge, procéder à un examen au cas par cas des circonstances de l’espèce afin de déterminer si le document sollicité peut être communiqué à un tiers sans porter préjudice à la personne intéressée.

Par exception à cette règle de l’appréciation in concreto, il existe des cas dans lesquels, par principe, le document communiqué porte préjudice à la personne intéressée. L’Administration est alors tenue d’en refuser la communication. Le Conseil d’Etat a par exemple jugé ainsi que les éléments permettant d’identifier les soignants lors de la communication d’une copie du registre de contention et d’isolement d’un centre hospitalier doivent être occultés « afin d’éviter que la divulgation d’informations les concernant puisse leur porter préjudice » (CE, 8 février 2023, Centre Hospitalier de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer », n° 455887).

Avec l’arrêt en date du 11 mars 2024, c’est aujourd’hui également le cas de la demande de protection fonctionnelle : «lLa divulgation à un tiers d’une telle demande doit être regardée comme étant, par elle-même et quel que soit son contenu, susceptible de porter préjudice à son auteur, qui a seul qualité de personne intéressée au sens des mêmes dispositions ». Refuser la communication de la demande de protection fonctionnelle est donc de principe (et de rigueur !).

En retenant cette solution jurisprudentielle, le Conseil d’Etat vient frapper du sceau de la confidentialité la demande de protection fonctionnelle en tenant compte « à la fois de la signification de la protection fonctionnelle et des conditions dans lesquelles elle peut être demandée », pour parler comme le Rapporteur Public Laurent Domingo, dont les conclusions sont particulièrement éclairantes quant aux motifs fondant l’arrêt commenté. Laurent Domingo nous rappelle d’abord ainsi que la demande de protection fonctionnelle ne concerne que l’agent et son administration et n’a donc pas vocation à intéresser un tiers. Il précise également que le dispositif consacré à l’article L. 135-6 du Code général de la fonction publique (CGFP), permettant de recueillir les signalements d’agents doit garantir la confidentialité de l’identité de l’auteur du signalement. La cohérence commande donc d’assurer cette même garantie aux auteurs de demande de protection fonctionnelle. Laurent Domingo ajoute enfin (et surtout) que « la confidentialité de la demande est une protection » afin de contribuer à libérer la parole des agents victimes et de s’assurer qu’ils ne soient pas inquiétés par leur propre demande.

L’arrêt commenté a également le mérite de nous rappeler que « les documents, quelle que soit leur nature, qui se rattachent à la fonction juridictionnelle n’ont pas le caractère de documents administratifs » communicables à l’instar des plaintes qui constituent la première étape de la procédure pénale (CE, 5 mars 2018, n° 401933). Le requérant ne pouvait donc, en l’espèce, ni obtenir la communication des demandes de protection fonctionnelle adressées au directeur-adjoint de l’Etablissement national des invalides de la Marine (ENIM), ni obtenir la communication de la plainte pénale déposée par une agente ainsi que tous les documents en possession de l’ENIM relatifs à cette plainte.

La solution ici retenue s’inscrit dans le courant jurisprudentiel protecteur des auteurs de signalements ; qu’il s’agisse, comme ici, de l’agent auteur de la demande de protection fonctionnelle, ou qu’il s’agisse de l’agent dont le témoignage, anonymisé en cas de « risque avéré de préjudice » a été recueilli dans le cadre d’un rapport d’inspection (CE, 22 décembre 2023, n° 462455). On notera que le principe de la confidentialité de la demande de protection fonctionnelle sera susceptible d’entrer en contradiction avec le droit à la communication des éléments du dossier dans le cadre d’une procédure disciplinaire. En effet, il n’est pas exclu que puisse se glisser, dans le dossier administratif, la demande de protection fonctionnelle à l’origine des poursuites disciplinaires. Avec les conséquences que l’on sait. L’attention est donc de mise (lors de la constitution du dossier).