Droit de la propriété publique
le 12/12/2024

Une cession immobilière n’est pas un marché public de travaux : nouvelle confirmation jurisprudentielle

TA de Limoges, 22 octobre 2024, n° 2101904

Par un jugement rendu le 22 octobre 2024, le Tribunal administratif de Limoges est revenu sur les frontières entre les contrats de cession d’un bien immobilier public, d’une part, et les contrats administratifs dont, notamment, les contrats de la commande publique, d’autre part, ainsi que sur les obligations de mise en concurrence applicables le cas échéant.

Dans cette affaire, un département avait eu recours – comme il advient régulièrement – à une procédure d’appel à projets pour valoriser une dépendance dont il était propriétaire. Les candidats devaient formuler leurs offres, étant entendu que le lauréat se verrait céder le terrain objet de l’opération, afin qu’il y réalise son projet. Deux sociétés arrivées en deuxième position après classement des offres ont contesté les conditions d’organisation de cet appel à projets, et sollicité l’annulation de la délibération par laquelle le Département avait autorisé sa présidente à signer une promesse synallagmatique de vente avec la société lauréate de l’appel à projets.

Le tribunal commence par rappeler qu’un contrat « qui porte sur une vente de biens appartenant à une personne publique ne peut être regardé comme un marché public de travaux ». Il est vrai que les contrats de vente de biens immobiliers ne sont pas en principe des contrats de la commande publique – et donc pas, notamment, des marchés de travaux – mais sous une réserve fondamentale toutefois : ces contrats de vente peuvent être requalifiés en contrats de la commande publique (marché public ou plus sûrement concession) si leur contenu ou si le contexte de l’opération trahit la circonstance qu’ils ont en réalité pour objet, non pas une simple cession d’un bien immobilier, mais bien surtout la satisfaction d’un besoin du pouvoir adjudicateur. Ce n’était toutefois pas le cas dans cette affaire, ce que le tribunal administratif a rappelé sans toutefois entrer plus spécifiquement dans le détail de cette question, et ce malgré la présence, au sein du contrat, de prescriptions fixées par la collectivité : destination de la dépendance, aménagements paysagers, nature de certaines emprises… Ce jugement confirme donc toutefois incidemment que la seule existence de prescriptions émises par la personne publique n’est pas de nature à emporter une requalification en contrat de la commande publique, notamment lorsque ces prescriptions demeurent modestes ou trop générales, et/ou qu’elles n’entravent pas trop la liberté qu’a l’acquéreur de développer son propre projet.

Le tribunal administratif a par ailleurs écarté toute autre requalification en contrat administratif, faute pour ce contrat d’avoir pour objet l’exécution d’un service public, et faute de comporter des clauses qui impliqueraient qu’il relève d’un régime exorbitant du droit commun.

Le tribunal administratif rappelle ensuite que « aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à une personne morale de droit public autre que l’État de faire précéder la vente d’une dépendance de son domaine privé d’une mise en concurrence préalable ». Il reprend, ce faisant, un principe déjà dégagé par le Conseil d’État[1] et appliqué par les juridictions du fond[2], et qui n’est que la conséquence de la distinction fondamentale entre les contrats de vente immobilière et les contrats de la commande publique. Mais il rappelle que la personne publique qui se soumet volontairement à une procédure de mise en concurrence, comme ici, doit alors respecter l’égalité de traitement entre les candidats. Le Conseil d’État considère en effet que « lorsqu’une telle personne publique fait le choix, sans y être contrainte, de céder un bien de son domaine privé par la voie d’un appel à projets comportant une mise en concurrence, elle est tenue de respecter le principe d’égalité de traitement entre les candidats au rachat de ce bien »[3]. En revanche, « il ne saurait cependant en découler qu’elle devrait respecter les règles relatives à la commande publique, qui ne sont pas applicables à la cession d’un bien »[4].

Logique et fondée en droit, la solution retenue ici par le tribunal administratif a le mérite de réaffirmer clairement les frontières respectives du droit de la commande publique et du droit des propriétés publiques, frontière qui n’est toutefois pas totalement étanche.

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[1] CE, 16 avril 2019, Sociétés Procedim et Sinfimmo, req. n° 420876.

[2] V. notamment CAA Lyon, 16 novembre 2017, req. n° 16LY03824 ; CAA Nancy, 23 juillet 2020, Commune de Schiltigheim, req. n° 18NC02029,18NC02050 ; CAA Marseille, 15 février 2021, req. n° 19MA01799 ; CAA Nancy, 21 octobre 2021, req. n° 20NC00365 ; CAA Versailles, 28 octobre 2021, req. n° 20VE02240.

[3] CE, 16 avril 2019, Sociétés Procedim et Sinfimmo, req. n° 420876.

[4] Id.