le 13/10/2022

Une avocate ukrainienne chez SEBAN AVOCATS

Dès l’annonce de l’invasion par la Russie de l’Ukraine au mépris de toutes les règles du droit international SEBAN AVOCATS a voulu s’impliquer dans la solidarité avec l’Ukraine, nous nous sommes rapprochés de l’ordre des avocats de Paris qui a lui-même mis en place une action de solidarité avec les avocats ukrainiens, c’est dans ce cadre que nous avons décidé d’accueillir au sein du cabinet Maria Potomkina qui décrit ici son parcours. Nous lui souhaitons de tout cœur de pouvoir exercer à nouveau en Ukraine.

 

 

Depuis combien de temps êtes-vous avocate ? Pourquoi être devenue avocate ?

Je suis avocate certifiée depuis début 2019, mais ma carrière dans le secteur juridique a réellement commencé pendant la crise économique de 2008. Ce fut un long chemin pour moi de savoir ce que je souhaitais vraiment faire dans ma vie professionnelle. Après avoir terminé l’école en 1998 à Kyiv, capitale ukrainienne et ma ville natale, j’ai fait 5 ans d’études supérieures et obtenu un diplôme dans le secteur de la finance et du management des banques.

J’ai commencé à travailler dès ma 4ème année d’études dans le bureau central d’une des plus grandes banques d’Ukraine – Prominvestbank (ancienne banque d’Etat devenu un capital d’actions à la suite de l’indépendance de l’Ukraine en 1991) – spécialisée dans les programmes de financement des entreprises importantes des secteurs de la production d’énergie, des machines, d’équipements, des usines métallurgiques et chimiques ainsi que de l’agriculture. Mon travail dans le Département des crédits portait sur l’analyse des dossiers des personnes morales importantes pour l’économie ukrainienne, comme par exemple la préparation de décisions des Comités de crédits de la banque sur les conditions des prêts aux clients.

Plus tard, en 2005, ayant déjà de l’expérience dans les banques, j’ai décidé de changer d’entreprise et j’ai obtenu un poste dans le Département des crédits du bureau principal de la Banque commerciale Finances & Crédit. C’était une période fructueuse pour l’économie de mon pays, la vitesse à laquelle celle-ci se développait était impressionnante. La classe moyenne est apparue à ce moment-là et beaucoup de petits et moyens entrepreneurs ont finalement eu la possibilité de se lancer avec tout avec le soutien du système bancaire. Mon travail était toujours dédié aux grands clients des secteurs importants pour l’économie du pays : comme les usines métallurgiques et chimiques, les entreprises produisant des médicaments ainsi que autres personnes morales commerçantes comme les vendeurs d’automobiles ou les agriculteurs. Mais cette fois, ma mission consistait à regarder les dossiers du côté des hypothèques et autres types de garanties pour les prêts. J’ai donc dû analyser les statuts des personnes morales, les titres de propriété selon les objets que la banque devait avoir comme garantie, la correspondance des valeurs des objets aux sommes de crédits demandés, etc. De cette façon, petit à petit, en travaillant avec les employés des différentes spécialisations de la banque, comme le Département juridique et de la sécurité, les vice-présidents et autres dirigeants de l’établissement, des personnes indépendantes engagés dans les procédures (de l’entrée du client dans la banque jusqu’à la conclusion du contrat de prêt) les experts, agents immobiliers, huissiers, notaires et les avocats bien sûr, j’ai compris que j’étais plus intéressée par l’aspect juridique de mon métier.

A l’automne 2008, une crise économique importante a touché l’Ukraine : il y a eu une forte inflation, les banques étaient obligées de réduire les prêts, et la politique sur les décisions de financement de clients est devenue plus attentive. Les prix de l’immobilier se sont effondrés, résultat : beaucoup de banques ont fait faillite.

Puis j’ai décidé de faire une pause dans ma vie professionnelle pour me recentrer sur moi-même et mes attentes professionnelles (il faut spécifier que je n’avais pas encore d’enfants à ce moment-là !). J’en ai donc profité pour améliorer mon anglais et faire des études juridiques. Tout en travaillant en même temps dans un cabinet d’avocats à Kyiv comme assistante, j’ai réussi à obtenir le diplôme de grandes études judiciaires en 2013.

A cette époque-là, les codes de procédures civiles, administratives et commerciales (sauf procès pénal), permettaient de représenter les clients (personnes morales ou physiques) devant les tribunaux sur tout le territoire ukrainien en étant seulement diplômé en procédures judiciaires et sans avoir le statut d’avocat. J’exerçais donc ce métier depuis 2013. Tout ce qui avait trait aux consultations de clients, aux contrats, aux statuts ou aux autres documentations sur lesquels un avocat doit s’investir : je le maîtrisais déjà grâce à mes cours dispensés pendant mes études.

Finalement, en avril 2019, suite à la reforme judicaire en Ukraine spécifiant dans tous les codes de procédures que l’avocat avait le droit d’intervenir au tribunal et représenter son client uniquement après avoir passé les examens adéquats, je suis devenue avocate au Barreau de Kyiv.

 

Quelles sont pour vous les qualités indispensables d’un avocat ?

Selon moi, un avocat doit savoir écouter et entendre son client, l’interroger sur ses documents, ses idées ou encore interroger les témoins, puis distinguer ses vrais besoins, les forces et les faiblesses de sa position.

De plus un avocat doit avoir l’intelligence et le courage de dire à son client les perspectives de l’affaire sans tricher, puis proposer au client le chemin le plus efficace, qui malheureusement n’est pas toujours celui envisagé par le client lui-même, ses proches ou autres « consultants indépendants » et Google-conseiller.

Un avocat ne doit jamais craindre de perdre un client. Même si son client part après avoir eu sa consultation et en disant « je le ferai moi-même ». Il faut se rappeler qu’il est possible qu’une fois avoir fait les essais de son côté et avoir peut-être rencontré des échecs (tout en ajoutant le fait que votre consultation lui ait semblé correcte !) : il pourra revenir vers vous.

Autre point, mon expérience personnelle m’a appris à ne pas être trop ouverte devant un client. Le client a tout à fait le droit de savoir en avance que va faire son avocat, les honoraires, les dépenses, les documents à fournir, mais il ne faut jamais faire la promesse que l’affaire va être absolument gagnée !

 

Dans quel secteur du droit exercez-vous ?

En Ukraine, les avocats des petits cabinets sont plutôt généralistes, exerçant dans plusieurs secteurs du droit selon les demandes de clients. Alors que les grands cabinets peuvent se permettre d’avoir des spécialistes dans un domaine précis. Malgré tout, il existe des avocats exerçants individuellement et en indépendant, qui sont spécialisés dans un secteur du droit. Le secteur privilégié de ces indépendants est généralement le droit pénal : il demande une parfaite connaissance de tous les détails du métier, car régulièrement, la vie du client dépend des compétences de son avocat.

Après ce tour d’horizon des avocats ukrainiens, retour sur mon cas : techniquement je suis une avocate indépendante, mais au quotidien nous sommes quelques confrères et consœurs à travailler dans le même bureau. Cela nous permet de s’entraider dans des affaires où il peut y avoir un conflit d’intérêt entre les parties.

J’exerce plutôt dans le domaine de procédures civiles et commerciales, car je suis passionnée par le droit de sociétés et le droit de l’immobilier, les questions de prêts et les relations avec les banques. Malgré tout, il m’arrive de travailler dans le domaine du droit de la famille (les divorces, partages de biens, patrimoine, questions des relations entre les parents et les enfants après une séparation de famille, etc.), le procès pénal des affaires puis d’autres selon la demande du client.

Souvent après avoir eu une demande de client, je partage mon travail avec un de mes confrères qui est plus spécialisé dans le domaine concerné pour avoir son avis.

 

Pourquoi avoir choisi ce secteur du droit ?

Comme je le disais plus haut, les secteurs du droit des sociétés et de l’immobilier m’ont intéressée dès le début de ma carrière. Je trouve ces domaines actuels et vifs. Ce sont des choses tangibles qui sont souvent demandées par les clients. De plus, les personnes morales, entrepreneurs ou les spécialistes en immobilier sont des clients en général très énergiques et positifs.  Les questions de prêts et relations avec les banques – c’est ce que je connais depuis que je suis étudiante – permettent d’être en continu à l’affût de l’actualité.

En effet je n’ai jamais souhaité m’engager dans la défense de personnes ayant enfreint la loi (vol, meurtre, etc.). L’une des raisons à cela est la sécurité de ma famille. Il arrive que les avocats spécialisés en droit pénal puissent se retrouver confronter à certains dangers et même devenir des victimes ainsi que leur famille.

J’ai eu des clients à défendre dans le domaine du droit pénal fiscal – c’est vraiment autre chose ! –  sur des grands contrats et des schémas intelligents.

 

Quelles différences vous marquent entre le droit français et le droit ukrainien ?

Le droit ukrainien a parcouru un long et dur chemin d’évolution faisant un gigantesque pas entre le droit de l’Union soviétique et le droit européen depuis 1991. Ce chemin n’est pas fini, la législation est toujours en train d’être reformée.

De plus, l’Ukraine a toujours le souhait d’être intégré à l’Europe, car c’est un pays à la mentalité européenne avec sa population et ses systèmes judiciaires proches. Un souhait encore plus actuel depuis l’agression de notre pays voisin qui ne voudra jamais nous laisser nous rapprocher de l’Europe.

La différence la plus signifiante pour moi, c’est la quantité des codes en France, le droit est très détaillé et codifié : les codes des assurances, de la santé publique etc.

En Ukraine le système des actes législatifs comprend (du haut au bas) les codes, les lois, les actes du parlement et d’autres nombreux actes, les décrets du Président, les décrets des ministères chacun dans son domaine. Nous avons une correspondance entre les codes du droit matériel et les procédures. Par exemple le Code civil et le Code de procédures civiles, le Code commercial et le Code de procédures commerciales, le Code pénal et le Code des procédures pénales. Il y a que les procédures administratives qui se sont un peu mélangées : le Code administratif, le Code des délits administratifs et un seul Code des procédures administratives qui ne donne pas de réponses à toutes les questions sur toutes les procédures administratives (quelques aspects sont expliqués dans le Code des délits administratifs). Dans ce cas, il faut toujours comprendre qui est le délinquant – une personne publique ou une personne physique passée au feu rouge conduisant son automobile. Les autres codes du droit matériel comprennent le Code des impôts – assez récent qui a remplacé plusieurs lois et autres actes – le Code du travail et le Code de l’habitation (ces deux derniers sont encore anciens et se vont se faire remplacer par des nouveaux : un travail gigantesque !). Il y a aussi quelques codes comme celui de la Douane, le Code de la famille, Code maritime commerciale etc.

Il existe beaucoup de normes : ceci nous oblige à passer beaucoup de temps à faire de la recherche, tandis qu’en France la codification est plus connue et beaucoup plus claire.

La réelle différence se justifie aussi par notre histoire différente. L’Ukraine a connu beaucoup plus de difficultés liées aux guerres, la possession de son territoire par différents pays les 200-300  dernières années, etc. Les différentes parties du territoire ont était envahis par l’Empire Autriche-Hongroise, les Polonais, les lettones, les Russes. Ensuite, nous avons eu 70 ans de régime soviétique, ce qui a détruit tout le système des tribunaux, a changé les lois et a mis fin à la nature indépendante de la profession d’avocat. C’est après avoir eu notre indépendance, pendant les 31 dernières années que l’Ukraine a pu faire évoluer tout son système.

A contrario, la France a eu de la chance de conserver son patrimoine dans le secteur du droit depuis plusieurs centaines d’années.

 

Que diriez-vous à un jeune qui souhaiterai devenir avocat en France ou en Ukraine ?

La profession d’avocat est une profession ardue, selon moi. Nous devons détenir beaucoup de compétences professionnelles ainsi que personnelles. Il faut avoir une réelle vocation pour pouvoir exercer cette profession et il faut se rendre compte de la responsabilité que ceci induit (comme pour les docteurs et les enseignants), et encore plus si tu souhaites travailler dans le droit pénal.

Ce n’est pas toujours uniquement la parfaite connaissance des articles des codes qui nous aide tous les jours, mais plutôt le fait d’être en même temps artiste, psychologue, savoir écouter le client et la partie adverse, et savoir parler.

 

Qu’est-ce que SEBAN AVOCATS a pu vous apporter et que retiendrez-vous de votre passage au sein du Cabinet ?

Le cabinet SEBAN AVOCATS m’a beaucoup impressionné et continue de le faire chaque jour.  En tant que réfugiée ukrainienne ces 7 derniers mois, tous ceux à qui j’ai pu parler en France et qui connaissent les avocats de Paris m’ont dit : « Tu es chez Seban ? T’as eu de la chance, c’est un très bon cabinet ! ».

Je n’ai jamais travaillé dans un grand cabinet d’avocats en Ukraine : notre petit cabinet comprend 5 personnes (auxquels il faut ajouter des avocats de cabinets partenaires). Les collègues avec qui je partage notre cabinet à Kyiv sont devenus des amis, je n’avais jamais envisagé de les quitter car nous avions une atmosphère de respect et de partage. J’ai encore du mal à réaliser que ma vie ait pu changer et basculer à ce point en cette journée du 24 février 2022. Pour sauver mes enfants j’ai tout quitté : mon travail (je me souviens que je devais avoir une audience à 10h00 ce jour-là), ma maison, mon mari, mes proches, mon pays, tout ce que j’aimais et ce que j’ai construit pour obtenir ma vie personnelle et professionnelle que j’avais à Kyiv.

Grâce à Maître Didier Seban, My-Kim Yang-Paya, Claire-Marie Dubois-Spaenlé, Anne Deganis et tous les autres associes, avocats, comptables, stagiaires, assistantes, je me suis tout de suite sentie comme une consœur et non une réfugiée ! L’ambiance dans le Cabinet SEBAN AVOCATS est magique. Tout est parfait, surtout l’attitude des collègues envers l’autre. Les déjeuners ensemble, le sport, les bavardages dans la cuisine pendant la pause.

Tout notre pays souffre réellement aujourd’hui, chacun tente de faire un don, de donner du sien dans la lutte contre ce qui nous arrive.  La solidarité entre les avocats pendant ce temps difficile causé par la guerre est impressionnante à travers l’Europe. Un avocat ukrainien n’a plus de travail « normal » actuellement : les crimes de guerre sont et doivent être le travail d’aujourd’hui et il faut prouver la culpabilité de ceux à l’origine de tout cela.

Ce n’est pas facile pour un avocat de quitter son pays et de trouver du travail dans son domaine : pour cela il faut parler les langues des pays d’accueil ! De plus, les diplômes ne sont pas automatiquement reconnus, donc il faut tout commencer à zéro pour devenir au moins digne d’avoir une place dans un cabinet ou une entreprise dans un pays étranger avec un droit diffèrent, une langue différente… A ceci se rajoute bien évidemment les problèmes administratifs, le manquement de l’hébergement et autres !

A mon niveau et à mon tour, j’essaye de participer à des événements organisés par le Barreau de Paris, le Conseil national des barreaux dédiés à la profession d’avocat en Ukraine, aux réformes du droit ukrainien pour l’intégration à l’Union européenne, la création du tribunal criminel spécial et autres questions actuelles pour aider. Je pense que si chaque citoyen de l’Ukraine fournit un petit effort selon ses forces et compétences la victoire viendra, ainsi que la victoire du droit et de la justice.