le 05/04/2018

Une annulation partielle du TURPE 5 mais la confirmation de la prise en compte des passifs de concession dans le calcul de ce tarif

CE, 9 mars 2018, Société EDF, Société Enedis, Ministre de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer, Fédération CFE-CGC Énergies, req. n° 407516, 407547, 408809, 409065.

Par une décision du 9 mars 2018, le Conseil d’Etat a annulé partiellement les Tarifs d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité dans les domaines de Haute Tension A (HTA) et Basse Tension (BT), applicables depuis le 1er août 2017 (ci-après le « TURPE 5 »).

Pour mémoire, les TURPE BT et HTA sont acquittés par tous les consommateurs finals d’électricité au titre de la part d’acheminement de l’électricité par les réseaux publics de distribution avec deux niveaux de tension (basse tension ou haute tension A). Bien que trop peu connus du grand public, un tiers environ du montant des factures de consommation d’électricité dépend des tarifs d’acheminement de l’électricité.

Adoptés pour la 5ème période tarifaire courant de 2017 à 2020, le TURPE 5 était contesté devant le Conseil d’Etat.

On exposera le contexte de la décision rendue par le Conseil d’Etat le 9 mars 2018 (1.), les motifs d’annulation partielle du TURPE 5 (2.), la confirmation toutefois de la méthode de calcul des charges de la société Enedis (3.) et les conséquences à en tirer (4.).

  1. CONTEXTE DU CONTENTIEUX « TURPE 5 » DEVANT LE CONSEIL D’ETAT

En vertu des articles L. 341-2 et suivants du code de l’énergie, les tarifs d’acheminement de l’électricité sont fixés par délibération de la Commission de régulation de l’énergie (ci-après la « CRE ») qui, après avoir été transmise au ministre en charge de l’énergie et sauf opposition de sa part, entre en vigueur à compter de sa publication au Journal officiel de la République française.

Dans l’affaire commentée, pas moins de quatre requêtes en annulation avaient été déposées devant le Conseil d’Etat à l’encontre des délibérations de la CRE du 17 novembre 2016 portant décision sur le TURPE 5 (cf. notre brève LAJEE du 6 décembre 2016) et du 19 janvier 2017 intervenue à la suite de la demande visant à prendre une nouvelle délibération de la part du ministre chargé de l’énergie en date du 17 janvier 2017 5 (cf. notre brève LAJEE du 2 février 2017).

On relèvera que, outre les requêtes de la société Enedis, de la société EDF et du ministre chargé de l’énergie, la quatrième requête, émanant de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres Energies (« CFE-CGC Energies »), a été jugée irrecevable par le Conseil d’Etat. Nonobstant le poids plus que significatif du TURPE sur les recettes de la société Enedis (92% du total des recettes), les représentants du personnel d’Enedis ont été regardés comme ayant un intérêt à agir insuffisant par le Conseil d’Etat.

Enfin, l’association UFC-Que Choisir a été admise au débat contentieux en tant qu’intervenante en défense aux côtés de la CRE.

  1. UN CONTENTIEUX AVEC PAS MOINS D’UNE VINGTAINE DE MOYENS, TOUS REJETES PAR LE CONSEIL D’ETAT À UNE EXCEPTION PRES

Par la jonction des trois requêtes jugées recevables dans une seule décision, le Conseil d’Etat rejette l’essentiel de l’argumentation des requérants (2.1), sauf une erreur de droit commise par la CRE (2.2).

  • 1 Le rejet de nombreux moyens soulevés à l’encontre du TURPE 5

Dans la première partie de la décision commentée, l’ensemble des moyens d’illégalité externe soulevés par les requérants sont écartés par le Conseil d’Etat, tant sur le point des consultations préalables de la CRE, dont celle non obligatoire du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), que sur le respect du délai de convocation des membres de la CRE, ou encore, en deuxième partie de la décision commentée, sur les orientations de politique énergétique du ministre chargé de l’énergie.

Dans une troisième partie, le Conseil d’Etat rejette les moyens de légalité interne portant sur deux mécanismes de régulation incitative de la CRE et, dans une cinquième partie, ceux portant sur la structure du tarif.

Quant à la quatrième partie de la décision commentée relative aux coûts pris en compte pour la détermination du TURPE, le Conseil d’Etat ne retient, ni les moyens portant sur les charges d’exploitation, ni ceux sur le compte de régularisation des charges et des produits (CRCP), ni encore ceux relatifs aux charges de capital (à une exception évoquée ci-après).

Plus spécifiquement sur les charges de capital, le Conseil d’Etat rejette le moyen soulevé par les sociétés EDF et Enedis sur une minoration desdites charges par la CRE liée, alors qu’elle n’y serait pas autorisée, à la politique de distribution des dividendes d’Enedis à sa maison mère EDF.

A cet égard, le Conseil d’Etat admet que la CRE puisse rappeler à Enedis, d’une part, que « la politique de dividende décidée par l’actionnaire ne saurait constituer un frein à la réalisation par Enedis des investissements » à effectuer sur les réseaux et, d’autre part, qu’une hausse de la rémunération du capital d’Enedis par le TURPE sur la période 2017-2020 « viendrait augmenter, sans justification, les bénéfices de l’opérateur et indirectement les bénéfices de son actionnaire ».

Il faut en effet rappeler que la société Enedis est détenue à 100% par la société EDF, cette dissociation résultant de l’obligation de séparer les activités de distribution et de fourniture d’électricité au nom de la transparence des coûts.

  • 2 L’annulation partielle du TURPE 5

La société Enedis soutenait que la rémunération des charges de capital dans le TURPE 5 ne prenait pas en compte, à tort, les provisions pour renouvellement constituées sur les ouvrages concédés, ni le passif correspondant à la remise d’ouvrages aux concédants, qui avaient été constitués sur la période tarifaire courant de 2006 à 2008 et qui n’avaient pas été déduits du TURPE alors applicable (TURPE 2).

Le Conseil d’Etat fait droit à cet argumentaire et juge que les délibérations attaquées doivent être annulées en tant qu’elles n’ont pas appliqué, dans le calcul du capital investi par Enedis, un taux « sans risque » en plus d’une « prime de risque » à ces deux catégories d’actifs sur la période 2006-2008.

La CRE devra donc prendre une nouvelle délibération pour appliquer ledit taux sur la seule fraction non amortie desdits actifs, en prenant en compte les économies d’impôts réalisées par la société Enedis sur la période, à partir de documents comptables que doit lui fournir Enedis.

Pour autant, l’intérêt de la décision commentée réside davantage dans la précision utilement apportée à la méthode de calcul de la rémunération des charges de capital d’Enedis que la CRE peut employer.

  1. LE BIEN-FONDE DE LA PRISE EN COMPTE DE LA STRUCTURE REELLE DU PASSIF D’ENEDIS POUR CALCULER SES CHARGES

La société Enedis contestait la légalité de la méthode de calcul de la rémunération de ses charges de capital dans le TURPE 5 au regard de l’article L. 341-2 du code de l’énergie modifié par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Avant toute chose, on rappellera que les TURPE sont calculés par la CRE, conformément à l’article L. 341-2 du code de l’énergie, « afin de couvrir l’ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d’un gestionnaire efficace », y compris ceux « résultant de l’exécution des missions et des contrats de service public ».

Pour y parvenir jusqu’au 18 août 2015, la CRE a tout d’abord adopté, lors du TURPE 2, une méthode de calcul de la rémunération des charges de capital d’Enedis assise sur un « coût moyen pondéré du capital » (CMPC), reconduite pour le TURPE 3, lequel avait été annulé par le Conseil d’Etat[1] au motif de son inadéquation avec la réalité financière et comptable d’Enedis.

Tirant les conséquences de cette annulation lors du TURPE 3 bis puis du TURPE 4, une nouvelle méthode basée sur un « modèle d’évaluation des actifs financiers » a été mise en place par la CRE, y incluant les éléments de passif liés à la spécificité des contrats de concession, portant, d’une part, sur les « comptes spécifiques des concessions »[2] et, d’autre part, sur les provisions pour renouvellement.

Après le 18 août 2015, date d’entrée en vigueur de la loi relative à la transition énergétique, la CRE a reconduit la seconde méthode de calcul, validée par le Conseil d’Etat pour le TURPE 4[3], pour fixer le TURPE 5, sans prendre en compte le nouvel alinéa de l’article L. 341-2 du code de l’énergie, ce qui était reproché à la CRE par la société Enedis.

Aux termes de l’article L. 341-2 du code de l’énergie :

« Pour le calcul du coût du capital investi par les gestionnaires de ces réseaux, la méthodologie est indépendante du régime juridique selon lequel sont exploités les réseaux d’électricité et de ses conséquences comptables. Elle peut se fonder sur la rémunération d’une base d’actifs régulée, définie comme le produit de cette base par le coût moyen pondéré du capital, établi à partir d’une structure normative du passif du gestionnaire de réseau, par référence à la structure du passif d’entreprises comparables du même secteur dans l’Union européenne ».

Par la décision commentée, le Conseil d’Etat admet que la CRE puisse, à nouveau, « se fonder (…) sur (…) un coût du capital ne tenant pas compte de la présence, au passif du gestionnaire du réseau de distribution, des droits des concédants et donc de la forme concessive sous laquelle est exploité ». Ce faisant, et comme l’a observé le Rapporteur Public, Madame Emilie Bodkam-Tognetti, lors de l‘audience à laquelle cette affaire était appelée, la loi du 18 août 2015 revient sur la méthode de calcul des TURPE 2 et 3 alors même qu’elle avait été censurée par le Conseil d’Etat.

Mais, il s’agit néanmoins pour la CRE « d’une simple faculté et non d’une obligation » selon le Conseil d’Etat.

En l’espèce donc, le Conseil d’Etat a jugé que la rémunération des charges de capital d’Enedis dans le TURPE 5 peut légalement s’appuyer sur un modèle d’évaluation des actifs financiers de la CRE tenant compte des droits des autorités concédantes et, plus généralement, de la spécificité du mode de gestion concessif des réseaux de distribution d’électricité en France.

  1. LES EFFETS DIFFERES DE LA DECISION DU CONSEIL D’ETAT

La sixième et dernière partie de la décision commentée du Conseil d’Etat porte sur les effets différés dans le temps de l’annulation partielle du TURPE 5.

Rappelant la grille d’analyse constante (cf. CE, 11 mai 2004, Association AC ! et autres, n°255886), le Conseil d’Etat considère, en l’espèce, que le TURPE 5 est appliqué depuis moins de huit mois (depuis le 1er août 2017) et, qu’en cas d’annulation rétroactive, Enedis devrait adresser des factures rectificatives à l’ensemble des utilisateurs du réseau.

Dans ses conclusions, le Rapporteur public avait également ajouté que, concrètement, il s’agirait pour Enedis de ne récupérer que quelques euros sur les factures des utilisateurs, pour proposer de différer de trois mois les effets de l’annulation, laissant à la CRE le temps de prendre une décision.

Le Conseil d’Etat a jugé dans le même sens que les effets des délibérations attaquées relatives au TURPE 5 sont considérés comme définitifs et que leur annulation partielle n’aura d’effet qu’au 1er août 2018.

Un TURPE 5 bis est donc attendu avant le 1er août prochain, et dont il résultera le montant exact de l’augmentation sur les factures d’électricité.

Marie-Hélène Pachen-Lefèvre, Avocat Associée

Maxime Gardellin, Avocat

 

[1] Cf. CE, 28 novembre 2012, Société Direct Energie et SIPPEREC, n° 330548, 332639, 332643.

[2] Il s’agit de l’élément de passif correspondant au droit des concédants de récupérer gratuitement les biens de la concession en fin de contrat dès lors qu’ils les ont financés.

[3] Cf. CE, 13 mai 2016, Société Direct Energie, n°375501.