Droit du travail et de la sécurité sociale
le 09/02/2023

Un salarié peut être licencié pour avoir menacé de déposer plainte contre son employeur

Cass. Soc., 7 décembre 2022, n° 21-19.280

Par un arrêt en date du 7 décembre 2022[1], la chambre sociale de la Cour de cassation a approuvé les juges du fonds d’avoir pu retenir comme bienfondé le licenciement d’un salarié qui a menacé son employeur de déposer plainte contre lui.

Exposé du contexte

En l’espèce, un conducteur de train a été licencié de son poste de travail, en raison, notamment, de son attitude envers ses supérieurs hiérarchiques et collègues.

A cet égard, la lettre de révocation indiquait, entre autres, en ces termes :

« […] après avoir énoncé sa volonté de vous recevoir dans le cadre d’un entretien disciplinaire, vous tentez de l’intimider [i.e. faisant référence au supérieur hiérarchique] en lui précisant que s’il persiste dans cette idée, vous irez porter plainte contre lui au commissariat de police […] »

L’employeur avait donc, pour prononcer ce licenciement, fait état de menaces du salarié de déposer plainte à son encontre. Le salarié s’est emparé de cet élément pour solliciter la nullité de la rupture de son contrat de travail devant le conseil de prud’hommes, lequel l’a débouté de sa demande.  Insatisfait de ce jugement, le salarié a saisi la Cour d’appel de Paris, en invoquant que l’employeur l’aurait licencié alors qu’il n’aurait fait que d’user de sa liberté fondamentale d’agir en justice.

L’enjeu financier était important pour les parties, dans la mesure où le licenciement intervenu en violation d’une liberté fondamentale est considéré nul en application du Code du travail[2], ce qui fonde le salarié à passer outre le barème Macron et à être indemnisé par le versement d’une somme minimum de 6 mois de salaires bruts. Cependant, le salarié a, derechef, été débouté en appel.

La Cour d’appel justifiait, en substance, sa décision par les énonciations suivantes :

« il résulte des pièces versées aux débats que l’expression par le salarié de son souhait de déposer plainte ne résulte pas d’une authentique volonté d’agir en justice mais est une simple illustration, dans un contexte global de menaces à l’endroit de ses collègues et supérieurs, d’une logique d’intimidation de son interlocuteur […] »

Ce faisant, le salarié fait preuve de mauvaise foi et d’un abus dans l’exercice de son droit d’agir en justice. Le salarié s’est alors pourvu en cassation. Au soutien de son pourvoi, le salarié invoquait, notamment et en substance :

  • Que la Cour d’appel aurait fait dépendre la nullité de son licenciement de l’éventuel bienfondé de l’action en justice envisagée ;
  • Qu’en se prononçant ainsi, elle serait contrevenue au droit fondamental d’agir en justice.

Toutefois, la Cour de cassation n’a pas été convaincue par cette argumentation et elle a énoncé que les juges du fond ont pu valablement retenir que le salarié avait abusé de son droit d’agir en justice :

  • en constatant et en estimant, en substance, que les propos de ce dernier s’inscrivaient dans un contexte global où il avait déjà, dans une logique d’intimidation, usé de menaces de déposer plainte à l’endroit de ses collègues et supérieurs hiérarchiques.

Analyse et portée de l’arrêt

Par l’arrêt ci-commenté, la Cour de cassation a précisé que les juges du fond disposent d’un pouvoir étendu quant à l’appréciation du bon usage du droit d’agir en justice du salarié et de ses conséquences sur un licenciement. Si ce droit est, en effet, un droit fondamental garanti par le bloc de constitutionnalité et dont la répression peut justifier la nullité d’un licenciement, le salarié ne peut le dévoyer à des fins d’intimidation de son employeur. Ainsi, les juges du fond peuvent valablement retenir que lorsque le salarié invoque la nullité de son licenciement en raison d’une prétendue atteinte à son droit d’agir en justice, l’employeur peut contrer cet argument en démontrant que le salarié a abusé de ce droit.

Il convient, toutefois, de préciser que l’arrêt de la Cour de cassation est une décision d’espèce.

En effet, il convient de se garder de toute automaticité dans l’application de cet arrêt, car ce sont les éléments de contexte qui ont permis à la Cour d’appel de valablement motiver sa décision. Plus particulièrement, pour retenir un abus de droit d’agir en justice, la Cour d’appel disposait des éléments nécessaires pour constater que la logique d’intimidation du salarié était établie et récurrente.

En effet, dès 2014, le salarié menaçait déjà, dans les termes suivants, son employeur de déposer plainte pour obtenir le retrait d’une sanction, voire, la rédaction d’un courrier :

« Soit vous me faites le courrier, soit je vais porter plainte pour harcèlement au commissariat ».

[…]

« Si demain vous me présentez une sanction, je me mets en maladie direct, et je vais à la police porter plainte ».

La Cour d’appel constatait encore que le salarié énonçait, en 2016 :

« Si vous maintenez votre CRC, moi je vais aller porter plainte ».

Au cas précis, donc, la logique d’intimidation du salarié était amplement démontrée.  Au reste, si cette logique était démontrée, il semble également que le droit d’agir en justice soit conçu de manière extensive par la Cour d’appel, dans la mesure où celle-ci a retenu que la simple déclaration du salarié de déposer plainte pouvait se rattacher à ce droit.

Pour autant, le salarié n’avait fait qu’exprimer ce « souhait » et ne l’avait pas concrétisé. De plus, cette déclaration ne portait non pas sur la saisine d’une juridiction, mais sur un dépôt de plainte auprès des forces de l’ordre.

 

[1] Cass., soc., 7 décembre 2022, n° 21-19.280 – https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046727303?init=true&page=1&query=21-19.280&searchField=ALL&tab_selection=all

[2] art. L. 1235-3-1 du code du travail