le 16/09/2021

Un nouvel obstacle à la reconnaissance de l’insuffisance professionnelle

CE, 20 juillet 2021, n° 441096

Les avocats que nous sommes savent depuis longtemps qu’il faut éviter de conseiller à nos clients d’engager des procédures de licenciement fondées sur l’insuffisance professionnelle, car l’expérience démontre que le risque contentieux est particulièrement élevé : entre le conseil de discipline qui rend quasiment systématiquement un avis défavorable au motif qu’il aurait fallût faire de la discipline, et le Juge administratif qui reconnaît l’insuffisance une fois sur mille, les chances sont minces d’aboutir.

Cette décision ne fait malheureusement que confirmer le bien-fondé de cette préconisation.

Soit une agente recrutée en qualité d’éducatrice de jeunes enfants contractuelle, nommée directrice d’un service multi-accueil puis titularisée dans le grade quelques années plus tard. Entre temps, par le jeu de l’intercommunalité, elle passe d’une communauté de communes à un syndicat intercommunal à une autre communauté de communes, toujours sur ce même poste.

Or, un an après sa titularisation, l’autorité territoriale saisissait un cabinet d’audit privé qui rendait un rapport d’analyse des risques psychosociaux concluant à son insuffisance professionnelle dans la gestion et le management du personnel, laquelle insuffisance était d’une part confirmée par une enquête interne, d’autre part étayée par l’alerte donnée par les représentants du personnel au sein du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et enfin illustrée par de nombreux agents de la structure qui s’étaient plaints des méthodes de management de l’agente.

Forte de ce dossier solide, l’autorité territoriale licenciait l’agente au motif de son insuffisance managériale, fondée sur son incapacité à développer des relations de travail adéquates avec ses équipes, précisant que cette insuffisance était susceptible de compromettre le bon fonctionnement du service public, reprenant ainsi les termes mêmes de la décision du Conseil d’Etat « Communauté urbaine de Strasbourg » du 20 mai 2016, rendue relativement au Directeur de la culture dont le licenciement avait été reconnu régulier.

Le Conseil d’Etat, confirmant en cela la Cour administrative d’appel, a annulé cette décision en considérant en substance que l’insuffisance de l’agente sur une compétence mineure (« carence ponctuelle ») dans son grade ne pouvait entraîner son insuffisance sur la totalité de ses missions.

Concrètement, il semblerait que les missions d’encadrement non seulement étaient mineures (surprenant pour des fonctions de directrice d’un multi-accueil), mais que surtout les missions du grade alors en vigueur ne comprenaient pas d’encadrement.

L’ironie veut que trois ans après, à l’occasion de la refonte de la filière, le grade d’éducateur de jeunes enfants soit devenu un grade de catégorie A avec des missions d’encadrement. La consécration de la pratique, en quelque sorte.

Concrètement, le Conseil d’Etat en déduit qu’il convenait de retirer à l’agent les missions d’encadrement, la Rapporteure publique, dans ses conclusions, évoquant la possibilité de muter l’agent sur un autre poste dans l’intérêt du service.

Mais ainsi qu’elle le souligne, si à l’Etat le nombre de postes permet d’envisager une mutation, c’est évidemment beaucoup plus difficile dans une collectivité. En l’espèce, cela aurait obligé la collectivité à créer un nouveau poste et à recruter un agent de catégorie A, uniquement pour ces missions quasi marginales d’encadrement, autant dire que c’était impossible.

Au-delà du cas d’espèce, il faut donc retenir que l’insuffisance managériale ne peut être utilisée que lorsque l’agent d’une part relève d’un grade dont l’encadrement est une mission, et d’autre part qu’il s’agisse, dans sa fiche de poste, d’une mission principale. En revanche, un fonctionnaire dont le comportement perturberait le service alors qu’il ne serait pas en situation d’encadrement ne relèvera que de la discipline…

En conclusion, décidément, l’insuffisance professionnelle se réduit à peau de chagrin.