le 30/08/2018

Un médecin du travail peut-il prendre parti dans un certificat sur l’existence d’un lien entre l’état de santé du salarié et ses conditions de travail ?

CE, 6 juin 2018, M. A c/ Conseil national de l’ordre des médecins, n° 405453

Le Conseil d’Etat aurait-il décidé, par cette décision publiée aux tables du recueil Lebon, de rappeler certaines de leurs obligations aux médecins du travail ?

Il a ainsi jugé, par cet arrêt du 6 juin 2018, que la sanction de l’avertissement pouvait être infligée au praticien qui, dans son certificat délivré à un salarié, avait pris parti sur le bien-fondé d’un « droit de retrait » exercé plus de huit mois plus tôt, laissé entendre que la société employeur ne respectait pas ses obligations en termes de protection de la santé des salariés, et enfin, reprochait notamment à cette société des « pratiques maltraitantes ».

Est-ce à dire qu’un médecin du travail, dont le rôle est essentiel notamment dans les litiges concernant les cas de harcèlement moral (cf. par exemple CAA Marseille, 4 avril 2014, M. et Mme A. c/ Commune de Béziers, req. 11MA01254), ne pourrait se prononcer sur les conditions de travail des salariés et ainsi déterminer un lien entre ces dernières et l’état de santé des salariés ?

La réponse est naturellement beaucoup plus nuancée, et résulte de l’application simple des textes du code de la santé publique.

Il résulte en effet des dispositions de l’article L. 4622-3 du Code du travail que le rôle du médecin du travail « consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé […] » et qu’à cette fin, l’article R. 4624-3 du même Code lui confère le droit d’accéder librement aux lieux de travail et d’y réaliser toute visite à son initiative.

Le juge en tire comme conséquence que la circonstance qu’un certificat établi par un médecin du travail prenne parti sur un lien entre l’état de santé de ce salarié et ses conditions de vie et de travail dans l’entreprise, n’est pas, par elle-même, de nature à méconnaître les obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-28 et R. 4127-76 du Code du travail.

Mais en revanche, il précise que le médecin du travail ne peut établir un tel certificat qu’en considération de constats personnellement opérés par lui, tant sur la personne du salarié que sur son milieu de travail.

Il ne peut donc se fonder sur les seuls propos du salarié, voire sur des attestations qu’il aurait recueillies : il doit se déplacer personnellement afin de constater les conditions de travail.

En l’espèce, le droit de retrait avait été exercé sur un site que le médecin du travail ne connaissait pas, il n’avait pas précisé les éléments qui l’avaient amené à considérer que la société ne respectait pas ses obligations en matière de protection de la santé ni exposé s’il avait pu les constater personnellement et, enfin, n’avait pas fait état des éléments qui justifiaient son affirmation selon laquelle elle aurait adopté des pratiques maltraitantes.

Dans ces conditions, le médecin du travail avait manqué à ses obligations déontologiques et c’est la raison pour laquelle la sanction de l’avertissement lui a été infligée par la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des médecins, saisi par la société employeur.

L’importance pratique de cette décision n’est pas neutre pour les employeurs publics auxquels les agents peuvent parfois opposer des certificats médicaux mentionnant la situation de harcèlement moral dans laquelle ils se trouveraient, sans pour autant que le médecin ne se soit déplacé afin de vérifier les allégations formulées lors de la visite.

Cette obligation est pour autant à mettre en relation avec la baisse dramatique du nombre de médecins spécialisés en médecine du travail, les difficultés rencontrées notamment par les collectivités territoriales pour en recruter, ce qui peut expliquer – mais non justifier, naturellement – que certains ne respectent pas cette précaution pourtant élémentaire de constater personnellement les faits sur lesquels ils s’appuient dans leurs certificats.