Projets immobiliers publics privés
le 11/04/2024

Trouble de jouissance causé par des travaux publics réalisés par une personne publique ayant la qualité de bailleur commercial : quel est le juge compétent pour statuer sur les demandes indemnitaires du preneur à bail ?

Cass. Civ., 3e, 14 mars 2024, n° 22-24.222, 22-24.223, 22-24.224, 22-24.225, 22-24.226

Par cinq arrêts très récents rendus le 2 avril 2024 et publié au Bulletin pour le premier d’entre eux, la Cour de cassation s’est prononcée sur les limites de la compétence du juge judiciaire en matière d’indemnisation du trouble de jouissance causé par des travaux publics réalisés par un bailleur commercial ayant la qualité de personne publique. En l’espèce, la ville de Paris avait donné à bail plusieurs locaux à activité de brasserie-bar, restauration traditionnelle et débits de boissons situés au sein du Théâtre du Châtelet. Afin de réaliser des travaux de rénovation, la ville de Paris avait fermé le théâtre et posé des bâches publicitaires sur ses façades, sans toutefois que ces travaux affectent les locaux commerciaux donnés à bail.

Considérant que la fermeture du théâtre, les travaux de rénovation et la pose des bâches constituaient un trouble anormal affectant leur activité, les preneurs à bail assignèrent la ville de Paris devant le juge judiciaire afin d’obtenir la réparation de la perte d’exploitation subie, la perte de valeur du fonds de commerce, ainsi que le paiement sans contrepartie de droits de voirie et de dommages-intérêts pour préjudice moral. La ville de Paris ne manqua pas de soulever l’incompétence du juge judiciaire, considérant quant à elle que le trouble allégué résultait de travaux publics réalisés en sa qualité de maître d’ouvrage public et non en sa qualité de bailleur commercial. Pour infirmer le jugement de première instance et retenir la compétence du juge judiciaire, la Cour d’appel de Paris s’était alors rattachée au fondement invoqué par les preneurs, à savoir l’article 1719 du Code civil relatif à l’obligation de jouissance paisible du bailleur.

La ville de Paris s’est donc pourvue en cassation en reprochant à la Cour d’appel de Paris de ne pas avoir tranché la question de fond tendant à savoir si les dommages subis étaient imputables à une faute commise en sa qualité de bailleur ou en sa qualité de maître d’ouvrage public. Revenant à l’orthodoxie des termes de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a estimé dans un attendu de principe qu’ « il appartient au juge judiciaire saisi d’une exception d’incompétence de déterminer, indépendamment du fondement juridique invoqué, si les demandes indemnitaires qui lui sont soumises tendent à la réparation de dommages causés par des travaux publics ou se rattachent à un fait générateur distinct de ces travaux public ».

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris a donc été cassé et l’affaire a été renvoyée devant la même Cour autrement composée. La Cour de cassation rappelle ainsi que seul le juge administratif est compétent pour connaître des actions en réparation d’un dommage causé par des travaux publics indépendamment du fondement juridique invoqué par les parties et de l’existence d’un bail commercial liant le maître d’ouvrage public et la victime. La seule question qu’il convient de trancher est donc celle de savoir si les dommages allégués sont imputables, ou non, à des travaux publics.

Dans la positive, seul le juge administratif sera compétent.