le 16/06/2020

Municipales 2020 – Transmission de deux QPC au Conseil constitutionnel par le Conseil d’Etat

CE, 25 mai 2020, n° 440217

CE, 25 mai 2020, n° 440335

 

Dans deux décisions du 25 mai 2020, le Conseil d’Etat, dans son rôle de filtre, a transmis au Conseil constitutionnel, deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).

La première QPC, qui lui avait été transmise par le Tribunal administratif de Nice, tend à la protestation des opérations électorales qui se sont déroulées à La Brigue (commune de – 1 000 habitants en Alpes-Maritimes). Cette QPC est dirigée contre diverses dispositions prévues à l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 qui entérinent le 1er tour des élections, organisent le report du 2nd et l’entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires.

La seconde QPC, qui lui avait été transmise par le Tribunal administratif de Montpellier, tend à la protestation des opérations électorales qui se sont déroulées à Juvignac (commune de + 1 000 habitants dans l’Hérault). Elle soulève sur le fond les mêmes moyens que la première mais porte aussi sur la constitutionalité des modes de scrutin. En effet, pour les scrutins de liste dans les communes de + 1 000 habitants, l’article L. 262 du Code électoral ne prévoit pas de condition de quorum pour la répartition des sièges à l’issue du 1er tour des élections (disposition déclarée constitutionnelle en 1982). Le Conseil estime qu’au regard de la situation, il existe bien un changement de circonstances de faits et que la question présente un caractère sérieux. Il est à noter que cette disposition n’est pas sans lien avec celles développées dans la première décision.

Le Conseil rappelle dans un premier temps dans les deux décisions les règles de transmission d’une QPC (article 23-4 de l’ordonnance n° 58-1067).

Concernant la 1ère QPC, le Conseil considère que les dispositions I, III et IV de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 sont applicables au litige. Le Conseil renvoie donc la totalité de l’article 19, sans chercher véritablement à expliquer pourquoi il estime la question sérieuse. Ainsi, son contrôle portera sur la validation a posteriori du 1er tour et le report en juin du 2nd tour. Cette appréciation peut s’expliquer notamment car c’est une commune de – 1 000 habitants pour laquelle une seule partie des sièges a été pourvue au 1er tour. Elle est donc susceptible d’être concernée par ces dispositions. En renvoyant l’ensemble de l’article 19, le Conseil apprécie souplement le critère de l’applicabilité au litige.

En outre, le Conseil considère que ces dispositions n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, notamment concernant le principe de sincérité du scrutin, qui a pour corollaire l’exigence de loyauté et de clarté du scrutin (Cons. const, 24 juillet 2003, n° 2003-475).

Le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer sur diverses questions.

Concernant le taux d’abstention au 1er tour, il n’a jamais été l’unique cause d’invalidation d’une élection (CE, 22 juillet 2015, n° 385989) et il est apprécié au cas par cas (manœuvres et pressions ou circonstances exceptionnelles (Cons.const., 1er juillet 1993, n° 93-1279)). Il n’existe pas de principe selon lequel le vainqueur doit avoir été désigné par une part suffisante du corps électoral. Une critique d’ensemble du processus électoral sur ce fondement parait donc assez improbable.

Le délai très important entre les deux tours de l’élection pourrait poser une question plus sérieuse tenant au principe de sincérité du scrutin, qui figure dans les normes de références du Conseil constitutionnel. Cependant il n’a que récemment été rattaché à l’article 3 de la Constitution (Cons. const., 20 décembre 2018, n° 2018-773) et son contenu reste indéterminé concernant la validation, l’annulation ou le report d’une élection.

Il est à noter que le Conseil constitutionnel a déjà admis la validité d’une élection obtenue après que le 2nd tour ait été reporté en raison de circonstances exceptionnelles (Cons. const, 27 juin 1973, n° 73-603-741). Cependant le Conseil constitutionnel n’a jamais eu à se prononcer sur un écart aussi conséquent de quinze semaines entre les deux tours.

Concernant le principe d’égalité, en cas de situation différente, le traitement peut être différent. Il convient de distinguer l’égalité entre les communes dont les résultats ont été acquis au 1er tour et les autres et l’absence de « quorum » face aux principes d’égalité entre électeurs et d’égalité entre candidats.

Le Rapporteur public n’invite pas particulièrement à donner satisfaction aux requérants sur le fond mais il considère, et le Conseil d’Etat avec lui visiblement, que la responsabilité de dire le droit sur ce point touchant aux équilibres démocratiques appartient au Conseil constitutionnel.