Droit du travail et de la sécurité sociale
le 17/03/2022
Alix MERCERONAlix MERCERON

Télétravail occasionnel ou régulier : les salariés ont droit à la même indemnité

TJ Paris, 28 septembre 2021 n° 21/06097, Syndicat autonome Force ouvrière des agents du groupe de l’Agence française de développement et des instituts d’émission c/ Agence française de développement

A travers un jugement du 29 septembre 2021[1], le Tribunal judiciaire de Paris a considéré que le fait de réserver une allocation forfaitaire journalière de 5 € aux seuls télétravailleurs réguliers constitue une atteinte au principe d’égalité de traitement. Les télétravailleurs occasionnels placés en situation de télétravail permanent du fait de l’épidémie Covid-19 ne pouvaient être privés de cette indemnité.

Faits de l’espèce – En janvier 2020, l’employeur et les quatre organisations syndicales représentatives, requérantes dans la présente instance, ont signé un accord relatif au télétravail prévoyant :

  • D’une part le recours au télétravail régulier des salariés de deux jours maximum par semaine, soumis à la signature d’un avenant au contrat de travail et indemnisé à hauteur de 5 euros bruts par jour télétravaillé ;
  • D’autre part le télétravail occasionnel non soumis à avenant ni à indemnisation de 40 jours maximum par an.

À compter du 16 mars 2020, conformément aux prescriptions gouvernementales, tous les salariés du siège ont été placés en télétravail à 100 % en raison de la situation sanitaire, sauf exceptions.

A la suite du refus de l’employeur de verser l’indemnisation de 5 € à tous les salariés, le CSE du siège et les quatre organisations syndicales ont saisi le Tribunal judiciaire de Paris.

Les syndicats ont soutenu que la différence de traitement opérée entre les salariés de l’entreprise ayant signé un avenant télétravail à leur contrat de travail et percevant une indemnisation de 10 euros par semaine maximum en application de cet avenant et les autres salariés non-signataires d’avenant n’en percevant aucune, n’était pas justifiée, car tous se trouvaient dans une situation identique au regard de la situation sanitaire.

En conséquence, ils demandent le versement d’une indemnité de 5 euros par jour à tous les salariés de l’entreprise en situation de télétravail depuis le 16 mars 2020.

Pour sa part, l’employeur fait valoir que tous les salariés ont été placés en situation de télétravail depuis le 16 mars 2020 en application de l’article L. 1222-11 du Code du travail[2] prévoyant l’aménagement du poste de travail sous la forme du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles liées en l’espèce à la crise sanitaire du COVID-19, et non dans le cadre de l’accord collectif télétravail du 3 janvier 2020 régissant les situations de recours au télétravail volontaire soumis à la signature d’un avenant au contrat de travail s’agissant du télétravail régulier, en application de l’article L. 1222-9 du Code du travail.

Elle ajoute qu’aucune disposition légale ou conventionnelle n’impose le remboursement d’un montant spécifique de frais engagés par les salariés en situation de télétravail sans validation préalable de l’employeur.

Décision du Tribunal judiciaire – La Juridiction n’a pas retenu l’argumentation de l’employeur et prend en compte plusieurs faits pour considérer que tous les salariés placés en situation de télétravail doivent recevoir l’indemnité forfaitaire de 5 € bruts par jour réellement effectué en télétravail en raison de la prise en charge obligatoire des frais liés au télétravail et du principe d’égalité de traitement.

Le Tribunal relève que les syndicats ne fondent pas leur demande principale sur l’inexécution de la convention collective mais sollicitent l’indemnisation des salariés sur le principe de l’égalité de traitement.

Pour les juges, il convient dès lors de déterminer si la Société pouvait opérer une différence de traitement entre les salariés du siège en situation de télétravail à temps complet, en octroyant une indemnité journalière de 5 euros sur deux jours maximums par semaine aux salariés signataires d’un avenant télétravail et en refusant de la verser aux collaborateurs non-signataires.

Les juges rappellent que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la règle qui l’établit.

Ils précisent que seules des raisons objectives et pertinentes matériellement vérifiables et en rapport avec l’objet de l’avantage octroyé peuvent justifier que l’employeur opère une distinction entre les salariés en télétravail régulier et les autres.

L’employeur avait indiqué avoir placé tous les salariés en télétravail au visa de l’article L. 1222-11 du Code du travail, par une décision unilatérale, et non sur des critères d’éligibilité.

Les juges considèrent que l’ensemble des salariés se trouvent dès lors sous le même régime juridique de mise en œuvre du télétravail pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés résultant en l’espèce de l’épidémie de COVID-19.

Le Tribunal relève que dans le cadre du dialogue social, il a été déterminé que l’employeur prend en charge une quote-part des frais de fonctionnement réellement supportés par le télétravailleur dans le cadre de son activité professionnelle correspondant à 5 euros bruts par jour réellement effectué en télétravail.

Il convient d’appliquer cette indemnisation forfaitaire conventionnellement déterminée au sein de l’entreprise et appliquée par l’employeur dans le cadre de l’article L. 1222-11 du Code du travail, à tous les salariés placés en situation de travail sur le fondement du principe de l’égalité de traitement, et correspondant à 5 euros bruts par jour réellement effectué en télétravail.

L’employeur est notamment condamné à verser à tous les salariés en télétravail du fait de la crise sanitaire une indemnité de 5 euros par jour effectivement télétravaillé à compter de l’assignation en justice.

Portée pratique de la décision – Cette décision devrait donc inciter l’employeur à ne pas différencier les travailleurs quant à la prise en charge des frais exposés qu’ils soient télétravailleurs occasionnels ou réguliers et/ou selon la cause du télétravail.

Il est à noter que si l’accord collectif prévoyait une indemnisation de 10 € maximum par semaine à raison de 2 jours de télétravail en cas de télétravail régulier, le Tribunal judiciaire condamne l’employeur à verser aux salariés 5 € par jour de télétravail occasionnel sans plafond d’indemnisation.

Une confirmation de cette décision est attendue (dont on ne sait pas si un appel est en cours) car de nombreux accords collectifs ou de décisions unilatérales mettent en place le télétravail en prévoyant une indemnité forfaitaire pour les seuls cas d’un télétravail régulier et non pour des situations exceptionnelles qui se sont multipliées sur ces deux dernières années.

 

[1] TJ Paris, 28 septembre 2021 n° 21/06097, Syndicat autonome Force ouvrière des agents du groupe de l’Agence française de développement et des instituts d’émission c/ Agence française de développement

[2] Article L.1222-11 du Code du travail : « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un ménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».