Projets immobiliers publics privés
le 06/04/2023
Anna MARIEAnna MARIE

Sur le droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit lorsque l’institution des servitudes prévues à l’article L. 515-8 du Code de l’environnement entraîne un préjudice direct, matériel et certain

Cass. Civ., 3ème, 14 décembre 2022, n° 21-23.129

1. En droit, l’article L. 515-8 du Code de l’environnement dispose que des servitudes d’utilité publique peuvent être instituées concernant l’utilisation du sol ainsi que l’exécution de travaux soumis au permis de construire. Ces servitudes peuvent ainsi comporter :

«  […] 1° La limitation ou l’interdiction de certains usages susceptibles de porter atteinte aux intérêts mentionnés à l’article L. 511-1, du droit d’implanter des constructions ou des ouvrages ou d’aménager les terrains ;

2° La subordination des autorisations de construire au respect de prescriptions techniques tendant à limiter l’exposition des occupants des bâtiments aux phénomènes dangereux ;

3° La limitation des effectifs employés dans les installations industrielles et commerciales ».

L’article L515-11 alinéa 1 du même code indique que :

« Lorsque l’institution des servitudes prévues à l’article L. 515-8 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit ».

L’article L515-12 dispose que des servitudes d’utilité publique peuvent être instituées sur des anciens sites ayant fait l’objet d’installations classées protection de l’environnement (ICPE). Les alinéa 3 et 4 de l’article susmentionné précise que :

« Sur les terrains pollués par l’exploitation d’une installation classée ou constituant l’emprise d’un site de stockage de déchets, lorsque les servitudes envisagées ont pour objet de protéger les intérêts mentionnés au premier alinéa et concernent ces seuls terrains, le représentant de l’Etat dans le département peut, lorsque le petit nombre des propriétaires ou le caractère limité des surfaces intéressées le justifie, procéder à la consultation écrite des propriétaires des terrains par substitution à la procédure d’enquête publique prévue au troisième alinéa de l’article L. 515-9.

Ces servitudes sont indemnisées dans les conditions prévues à l’article L. 515-11. Pour l’application de cet article, la date d’ouverture de l’enquête publique est, lorsqu’il n’est pas procédé à une telle enquête, remplacée par la date de consultation des propriétaires ».

2. Dans le cas d’espèce, par arrêté du 22 septembre 2015, un site anciennement exploité comme fonderie, propriété de la société AKWEL et relevant des installations classées pour la protection de l’environnement, a fait l’objet d’une servitude d’utilité publique, en raison d’une pollution aux hydrocarbures, métaux et solvants chlorés constatés dans les sols et au droit de ces sites.

L’arrêté édictait notamment une interdiction des usages et aménagements de type « résidentiel » ou assimilé.

Dans ces conditions, en sa qualité de propriétaire, la société AKWEL sollicitait la condamnation de la société TSA, dernière exploitante de la fonderie, à l’indemniser du préjudice résultant de l’institution des servitudes d’utilité publique, au regard de la perte de valeur vénale de son terrain, et du coût de la franchise locative.

Par un arrêt en date du 6 juillet 2021, la Cour d’appel de Lyon rejetait les demandes indemnitaires formulées par la société AWKEL, qui formait dès lors un pourvoi en cassation.

3. En premier lieu, la société AWKEL arguait que l’existence d’une servitude d’utilité publique sur le terrain dont elle est propriétaire constituait un préjudice lié à une perte de constructibilité du site, notamment dans la perspective d’une éventuelle conversion en usage d’habitation, ce qui entraînait une dépréciation de sa propriété. La société TSA soutenait pour sa part que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle envisageait de reconvertir sa propriété à l’usage d’habitation.

Aux visas des articles L. 515-12 et L. 515-11 du Code de l’environnement, la Cour de cassation rejetait sur ce point le pourvoi formé par la société AWKEL, au motif que pour l’estimation d’un tel préjudice, seul est pris en considération l’usage possible des immeubles et droits immobiliers « un an avant la date d’ouverture de l’enquête publique » ou, le cas échéant, avant la consultation des propriétaires.

Or, à la date de référence retenue pour l’application des textes susvisés, il apparaissait que la société AWKEL ne justifiait pas en l’état de la situation du bien et de ses caractéristiques d’un usage possible d’habitation ou résidentiel.

4. La société AWKEL soutenait dans un second temps que les contraintes engendrées par l’instauration de servitudes d’utilité publique en raison de l’exploitation sur son terrain d’une installation classée pour la protection de l’environnement avaient entraîné une perte de jouissance. Pour débouter la société de sa demande, la Cour d’appel retenait que cette dernière ne rapportait pas la preuve de sa volonté de vendre ou louer les terrains litigieux.

Au visa de l’article L. 515-8 du Code de l’environnement, la Cour de cassation est venue sur ce second moyen cassé l’arrêt rendu par les Juges d’appel, en rappelant que dès lors que l’instauration d’ une servitude d’utilité publique entraîne un préjudice direct, matériel et certain, les propriétaires, titulaires de droits réels ou leurs ayants droits disposent d’un droit à une indemnité, peu important que ces derniers rapportent la preuve de leur intention de vendre ou louer les terrains litigieux.

Par cet arrêt, la Cour de cassation est ainsi venue préciser la méthode d’évaluation des dommages résultant de l’institution d’une servitude d’utilité publique, en admettant notamment que la perte de jouissance était constitutive d’un tel préjudice, à condition de rapporter la preuve de son caractère direct, certain et matériel. Il apparait en revanche que la preuve d’une perte de valeur du terrain faisant l’objet d’une servitude d’utilité publique, compte tenu de l’impossibilité qui en résulte de l’affecter à un usage d’habitation, n’est pas rapportée lorsqu’à la date de référence, le site ne pouvait recevoir qu’une activité industrielle.