le 07/06/2016

Suite de la saga Vent de Colère ! : le Conseil d’Etat précise l’office du Juge de l’exécution en cas d’annulation d’un acte réglementaire instituant une aide lorsque cet acte a été annulé pour défaut de notification. Dans cette hypothèse, selon la compatibilité de cette aide avec le marché, il doit prononcer une injonction de recouvrer les aides ou les intérêts au titre de la période d’illégalité

CE, 15 avril 2016, Association Vent de Colère !, n° 393721

Pour rappel, par une décision en date du 28 mai 2014, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté tarifaire du 17 novembre 2008 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent et l’arrêté du 23 décembre 2008 le complétant (CE, 28 mai 2014, Association Vent de Colère !, n° 324852).

Cette annulation a été prononcée à la suite tant d’une décision du Conseil d’Etat du 15 mai 2012 que de l’arrêt du 19 décembre 2013 par lequel la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée à titre préjudiciel. En effet, il résulte de ces deux arrêts que  doivent être qualifiés d’aides d’Etat l’achat de l’énergie éolienne à un prix supérieur à sa valeur de marché et d’illégaux les arrêtés instituant cette aide en ce qu’ils méconnaissent l’obligation de notification préalable à la Commission européenne prévue par l’article 108 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (voir CE, 26 mai 2012, Association Vent de colère !, n° 324852 ; CJUE, 19 décembre 2013, Association Vent de colère ! fédération nationale et autres, aff. C-262/12).

Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat commence, dans un premier temps, par rappeler le cadre juridique européen.

Il résulte des stipulations des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, telles qu’interprétées par la Cour de justice des communautés européennes, que s’il incombe à la Commission européenne de décider si une aide d’Etat illégale est, ou non, compatible avec le marché intérieur, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sauvegarder, jusqu’à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables en cas de violation de l’obligation de notification préalable des aides d’Etat à la Commission prévue à l’article 108 du traité (voir : CJUE, 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich e.a., aff. C-368/04 ; CJUE, 12 février 2008, Centre d’exportation du livre français, aff. C-199/06).

Dans ce cadre, dans l’hypothèse où la Commission européenne a adopté une décision devenue définitive constatant l’incompatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la sanction de cette illégalité implique, en principe, la récupération des sommes versées.

A contrario, lorsque la décision en cause constate la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la sanction de cette illégalité n’implique pas la récupération de l’aide mais les juridictions nationales sont tenues de veiller à ce que soit mis à la charge des bénéficiaires de l’aide le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité.

Dans un second temps, le Conseil d’Etat tire toutes les conséquences de la distinction ainsi opérée en droit interne.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat rappelle que l’exécution d’un jugement par lequel un acte réglementaire a été annulé n’implique pas en principe que le Juge enjoigne à l’administration de revenir sur les mesures individuelles prises en application de cet acte (voir CE, sect. avis, 13 mars 1998, Mme X., n° 190751).

Ensuite, il insiste sur le rôle de Juge de droit commun du droit de l’Union européenne de la juridiction administrative afin d’en conclure que cette dernière doit veiller à ce que toutes les conséquences d’une violation de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne soient tirées.

Ainsi, en dérogation au principe préalablement rappelé, en présence d’un acte réglementaire instituant une aide en méconnaissance de l’obligation de notification préalable à la Commission européenne, il incombe à l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le recouvrement auprès des bénéficiaires de l’aide, selon le cas, des aides versées sur le fondement de ce régime illégal ou des intérêts calculés sur la période d’illégalité.

A ce titre, le Conseil d’Etat précise les modalités de calcul des intérêts à récupérer. Ces derniers doivent être calculés conformément au règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 du Conseil portant modalité d’application de l’article 93 du Traité CE sur la base des intérêts dus sur les montants versés en application du texte instituant l’aide, à proportion de la fraction de ces montants ayant la nature d’une aide, et ce de la date de versement jusqu’à la date de la décision de la Commission européenne.

Ensuite, le Conseil d’Etat juge que lorsque les mesures nécessaires n’ont pas été prises, il appartient au Juge de prescrire, sur le fondement des dispositions du livre IX du Code de justice administrative, les mesures d’exécution impliquées par l’annulation de cet acte réglementaire afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union européenne.

En l’espèce, dès lors que, dans une décision du 27 mars 2014, la Commission européenne a décidé de ne pas soulever d’objection à l’encontre du mécanisme en cause, l’exécution de la décision du 28 mai 2014 sera complète dès que l’Etat aura pris toutes les mesures nécessaires pour assurer le paiement, par chaque bénéficiaire de l’aide, des intérêts qu’il aurait acquittés s’il avait dû emprunter sur le marché le montant de l’aide accordée en application des arrêtés annulés.

L’Etat n’ayant pas pris les mesures adéquates, il est regardé comme n’ayant pas exécuté la décision du 28 mai 2014. En conséquence, le Conseil d’Etat prononce une astreinte, d’un montant de 10.000 euros par jour de retard, à son encontre, s’il ne justifie pas avoir, dans les six mois suivant, récupéré les taux d’intérêts des aides d’Etat versées en application de l’arrêté tarifaire du 17 novembre 2008.