Energie
le 08/12/2022

Un gestionnaire de réseau peut être considéré comme un « producteur » et engager sa responsabilité du fait des produits défectueux

CJUE, 24 novembre 2022, n° C-691/21

La Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après, CJUE), statuant sur une question préjudicielle posée par la Cour de cassation, a considéré qu’un gestionnaire de réseau public de distribution d’électricité peut revêtir la casquette de « producteur » et engager à ce titre sa responsabilité du fait de produits défectueux, sur le fondement de l’ancien article 1386-1 du Code civil, désormais codifié aux articles 1245 à 1245-17 de ce même Code.

Dans cette affaire, du fait de dommages causés par une surtension électrique provoquée par une rupture du circuit neutre du réseau de distribution d’électricité, une société et son assureur ont souhaité engager la responsabilité dudit gestionnaire sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Par une décision rendue le 6 février 2020 infirmant le jugement de premier instance, la Cour d’appel de Versailles a considéré que la responsabilité du gestionnaire du réseau de distribution pouvait être engagée sur ce fondement, celui-ci ayant la qualité de producteur au sens de la législation relative à la responsabilité des produits défectueux car il procédait à la transformation de l’électricité, ce qui faisait de lui le fabricant du produit fini destiné à être distribué au consommateur final. La Cour d’appel a toutefois écarté la demande de la société requérante et de son assureur au motif qu’elle était prescrite.

La requérante a alors formé un pourvoi en cassation. Après avoir émis des réserves sur l’argumentaire de la Cour d’appel considérant notamment, selon son avocat général, que le fait de qualifier Enedis de producteur d’électricité « est contraire à la réalité des rapports contractuels et économiques entre les différents acteurs du secteur », la Cour de cassation a décidé de sursoir à statuer afin de poser une question préjudicielle à la CJUE dans le but de savoir si les articles 2 et 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 du 25 juillet 1985 « devaient être interprétés en ce sens que le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité peut être considéré comme ʺ producteur ʺ, dès lors qu’il modifie le niveau de tension de l’électricité du fournisseur en vue de sa distribution au client final ».

Après avoir précisé que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union européenne tient compte des termes de cette disposition mais aussi de son contexte et de ses objectifs, ici la protection du consommateur, la CJUE rappelle qu’au sens de l’article 3, paragraphe 1 de la directive susvisée, le terme « producteur » désigne « le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première ou le fabricant d’une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ».

Elle conclut alors que le gestionnaire de réseau qui modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final ne se limite pas à livrer un produit mais « participe au processus de sa production en en modifiant une de ses caractéristiques, à savoir sa tension, en vue de le mettre en état d’être offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé », et donc qu’il doit être considéré comme un « producteur » au sens de l’article 3, paragraphe 1 de la directive 85/374.

Elle ajoute en outre que contrairement à ce que relève la Cour de cassation, cette interprétation de la notion de « producteur » n’est pas contraire à l’article 24 de la directive susvisée ayant imposé une séparation entre les activités de production et de distribution d’électricité dès lors que les critères du régime de responsabilité du fait des produits défectueux prévu par la directive 85/374 ne s’analysent qu’au regard des articles 1er et 3 de cette directive.