le 19/10/2021

Sauf comportement ou propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, un entretien d’évaluation ne peut constituer un accident de service

CE, 27 septembre 2021, n° 440983

Par un arrêt du 27 septembre 2021, le Conseil d’Etat vient de juger qu’un comportement ou un propos n’excédant pas l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ne pouvait être regardé comme constitutif d’un accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent.

Ce faisant, le Conseil d’Etat apporte enfin une solution à un problème récurrent auquel étaient confrontées les administrations dans leurs relations avec certains agents.

Rappelons en effet que, de jurisprudence constante, puis plus récemment en application de l’article 21 bis de loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la survenance d’un accident dans le temps et le lieu du service établissait une présomption d’imputabilité au service de cet accident et, partant, des éventuels arrêts de travail qui en découlent.

Régulièrement, ce principe avait trouvé application devant les juridictions du fond en matière de pathologie psychologique résultant d’évènements intervenus sur le lieu de travail. Certains agents, confrontés à leur hiérarchie dans le cadre d’un entretien d’évaluation, de recadrage, voire disciplinaire, alléguaient subir à cette occasion un choc psychologique important, donnant lieu à leur placement en arrêt de travail. Les médecins experts, constataient alors très régulièrement, sur la base du récit de l’agent, un lien direct entre le placement en arrêt de travail et l’évènement ponctuel que constituait l’entretien, quelle que soit par ailleurs la teneur dudit entretien. L’imputabilité au service impliquant un maintien du plein traitement jusqu’à la reprise des fonctions de l’agent, cette circonstance pouvait s’avérer financièrement lourde à assumer pour l’Administration.

En pratique, l’Administration se trouvait donc assujettie à l’aléa de la sensibilité avec laquelle certains agents étaient susceptibles d’appréhender la confrontation à leur hiérarchie, faisant ainsi « supporter aux administrations les conséquences de décisions relevant de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique », selon les termes du rapporteur public Laurent Cytermann sur un arrêt du 13 mars 2019 (n° 407795).

Tel était le cas de la situation jugée dans l’arrêt ici commenté : reçu en entretien lors duquel il lui était ordonné de cesser de tenir sur son lieu de travail des propos à caractère xénophobes et plus généralement des « observations sur les sujets sociétaux », l’agent avait, dès le lendemain, produit un arrêt de travail, et avait obtenu d’un expert psychiatre le constat « état de choc » faisant suite « au contenu d’un entretien d’évaluation ». La Cour administrative d’appel en avait alors déduit l’existence d’un accident de service imputable à l’employeur.

Le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi contre cet arrêt valide la décision de l’administration refusant de reconnaître l’imputabilité au service des arrêts de travail, en posant le principe selon lequel « sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent ».

Autrement dit, l’agent qui rechercherait désormais la reconnaissance de l’imputabilité au service d’un arrêt de travail causé par un entretien avec sa hiérarchie, devra justifier du fait que celle-ci aurait adopté « un comportement ou des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique », c’est-à-dire ayant été effectivement de nature à générer une pathologie psychologique.

Reste à attendre les applications que recevra ce principe pour en déterminer la portée exacte, et notamment les cas dans lesquels l’existence d’un comportement « excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique » sera retenue par le juge administratif.