le 19/11/2020

RIFSEEP et maladie : la latitude offerte à l’administration par la CAA de Nancy

CAA Nancy, 17 novembre 2020, n° 19NC00326

Par un arrêt rendu le 18 novembre 2020, la Cour administrative d’appel de Nancy marque un tournant jurisprudentiel en ce qui concerne le régime indemnitaire tenant comptes des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) mis en place au sein des collectivités territoriales.

Jusqu’à présent, la jurisprudence administrative avait très largement restreint la marge de manœuvre dont disposaient les collectivités territoriales pour fixer les conditions dans lesquelles ce régime était fixé et versé, en retenant  une interprétation particulièrement stricte du principe de parité, tel qu’il est fixé à l’article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

Pour rappel, ce principe prévoit que, si le régime indemnitaire des agents territoriaux est librement fixé par les collectivités, il ne peut l’être que « dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l’Etat ». Plus encore, lorsque les collectivités  instaurent un régime indemnitaire assimilable au RIFSEEP (c’est-à-dire servi en deux parts, l’une afférente aux fonctions et l’autre à la manière de service), la somme de ces deux parts ne « peut dépasser le plafond global des primes octroyées aux agents de l’Etat ».

Si, à première lecture, on pouvait croire pouvoir s’en tenir au seul respect de ce plafond global, telle n’a pas été la lecture retenue par le contrôle de légalité et par les tribunaux administratifs. En effet, plusieurs juridictions du fond ont été saisies par le contrôle de légalité de déférés sollicitant l’annulation de délibérations instaurant le RIFSEEP, au motif que ces délibérations prévoyaient le maintien de ce régime indemnitaire pendant les congés de longue maladie et de longue durée. Les préfets considéraient en effet, que ce maintien était contraire au principe de parité dès lors qu’il n’était pas prévu au bénéfice des agents de l’Etat, qui n’en bénéficient qu’en congé de maladie ordinaire (cf. décret n° 2010-997 du 26 août 2010 relatif au régime de maintien des primes et indemnités des agents publics de l’Etat et des magistrats de l’ordre judiciaire dans certaines situations de congés). Ces juridictions ont toutes, à notre connaissance, donné raison au représentant de l’Etat, en censurant les dispositions plus favorables sans rechercher si, d’une façon générale, le fait d’accorder cet avantage entrainait en l’espèce un dépassement du plafond de régime indemnitaire pour l’Etat (TA Melun, 25 juin 2020, n° 1906861 ; TA Châlons-en-Champagne, 4 décembre 2018, n° 1801197 ; TA Grenoble, 19 février 2019, n° 1801918).

C’est sur un appel de l’une de ces décisions que la cour administrative d’appel de Nancy a semble-t-il ouvert la voie à une appréhension plus libérale du principe de parité, en ce qui concerne la définition des conditions de versement du RIFSEEP.

Constatant qu’en effet le régime instauré par la collectivité était plus avantageux sur ce point que celui prévu au bénéfice des agents de l’Etat, la cour a néanmoins choisi de dépasser cette seule considération pour examiner si, effectivement, cet avantage aboutissait à un régime indemnitaire plus favorable, c’est-à-dire à un dépassement du plafond de l’indemnité fixée au bénéfice des agents de l’Etat. En l’espèce, la cour a précisément considéré que le seul fait que le régime soit plus avantageux sur ce point n’établissait pas à lui seul que le régime était dans son ensemble plus favorable, c’est-à-dire qu’il aboutissait à octroyer aux agents territoriaux un régime indemnitaire dépassant le plafond fixé pour les agents de l’Etat.

Cette circonstance n’étant pas démontrée, la cour a jugé que la méconnaissance du principe de parité n’était pas établie.

L’arrêt accorde ainsi une marge de manœuvre plus importante aux collectivités territoriales dans la fixation de leur régime indemnitaire, rappelant que la collectivité était « libre de déterminer les critères d’attribution des primes correspondant à la part du RIFSEEP que constitue l’IFSE », ce qui ne ressortait pas de décisions rendues jusqu’à présent, bien au contraire. Il ne suffirait donc pas de constater un avantage ponctuel dans ces conditions d’attribution pour considérer le principe de parité est méconnu mais il faudrait que le dispositif, dans son ensemble, soit plus favorable.

L’arrêt, sous réserve qu’il ne soit pas censuré à l’occasion d‘un éventuel pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat, pourrait donc rendre aux collectivités la pleine jouissance de leur pouvoir de libre administration en ce qui concerne le régime indemnitaire, qu’elles avaient tendanciellement vu s’amoindrir avec l’instauration du RIFSEEP leur imposant généralement de reprendre telle quelle la règlementation étatique.

Si cette jurisprudence était confirmée, les collectivités pourraient choisir d’accorder à leurs agents un régime plus avantageux sur certains points, à condition qu’ils le soient moins sur d’autres, sans méconnaitre le principe de parité. Pour l’heure en tout cas, la jurisprudence pourra être utilement opposée au contrôle de légalité ou aux juridictions à l’occasion de litiges en la matière.