Droit pénal et de la presse
le 24/01/2023
Lilia BEN MUSTAPHALilia BEN MUSTAPHA

Responsabilité pénale en cas d’accident du travail : précisions sur l’obligation particulière de sécurité ou de prudence nécessaire à la caractérisation d’une faute délibérée

Cass. Crim., 21 juin 2022, n° 21-85.691

Cass. Crim., 8 février 2022, n° 21-83.708

Par deux arrêts des 8 février et 21 juin 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté des précisions sur la notion d’obligation particulière de sécurité ou de prudence, composante de la faute délibérée prévue à l’article 121-3 du Code pénal.

Pour mémoire, l’article 121-3 du Code pénal consacre, en son premier alinéa, le principe selon lequel « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».

En matière d’atteintes involontaires à l’intégrité physique toutefois, la responsabilité pénale des personnes morales peut être engagée en cas de « faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait » (art. 121-3 alinéa 3).

Il en est de même des personnes physiques, lorsque leur faute a directement causé le dommage – i.e. l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, le cas échéant mortelle. Lorsque ce lien de causalité est indirect, en revanche, la nature de la faute diffère sensiblement.

Dans le cas où une personne physique n’a pas causé directement le dommage, mais a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, sa responsabilité pénale pourra être engagée s’il est établi qu’elle a (article 121-3 alinéa 4 du Code pénal) :

  • « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement» ;
  • « soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer».

C’est à ce titre, et plus particulièrement au sujet de cette première typologie de faute qualifiée (i.e. la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence) que les deux arrêts des 8 février et 21 juin 2022 apportent d’utiles éclaircissements.

La première affaire portait sur le décès d’un matelot tombé en mer, entraîné par un orin relié aux engins de pêche, alors qu’il employait une nouvelle technique de pêche aux nasses.

Son employeur avait été condamné par le Tribunal correctionnel pour avoir involontairement causé sa mort par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence, notamment en ne dispensant aucune formation aux nouvelles techniques de travail ; le prévenu interjetait appel de cette décision.

Par un arrêt en date du 18 mai 2021, la Cour d’appel de Rennes avait confirmé cette condamnation en considérant que « l’inadaptation du plan de travail dédié au filage des lignes de nasses, l’insuffisance des moyens précis et sérieux proposés par l’employeur pour remédier au risque de se faire entraîner par des engins de pêche et l’absence totale de formation à la sécurité […] a engendré des conditions d’exercice de travail dangereuses pour la victime, ayant rendu possible sa chute et sa disparition en mer ».

En reprenant ces constatations de fait de la Cour d’appel, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 8 février 2022, opéré une requalification de la faute délibérée en faute caractérisée, la juridiction d’appel n’ayant pas caractérisé la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Dans la seconde affaire, une société et son mécanicien de bord étaient renvoyés devant le Tribunal correctionnel notamment du chef de blessures involontaires avec incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence (article 222-20 du Code pénal), à la suite d’un accident de travail dont a été victime un salarié à bord d’un navire de pêche.

Pour déclarer coupables la société et le mécanicien de cette infraction, l’arrêt d’appel avait retenu que le salarié, victime de l’accident, n’avait reçu aucune formation pratique et appropriée, que « l’obligation de formation et d’information est une obligation de sécurité prévue par la loi et le règlement » et que « cette absence de formation à la sécurité constitue une faute caractérisée ayant exposé la victime à une situation dangereuse de la part de la société et démontre une volonté délibérée de violer une obligation particulière de sécurité de la part du mécanicien de bord ».

Dans son arrêt du 21 juin 2022, la Cour de cassation censure ce raisonnement.

Elle rappelle d’une part, que « l’article 222-20 du Code pénal ne qualifie de délit les blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d’une durée inférieure ou égale à trois mois qu’en cas de manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, de sorte qu’il n’est pas possible de retenir que les manquements constatés constituent une faute caractérisée ».

La Cour de cassation fait une lecture rigoureuse de l’article 222-20 du Code pénal, en soulignant que la lettre du texte suppose la caractérisation d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement et non pas d’une faute caractérisée.

D’autre part, la Cour de cassation relève que les articles L. 4141-1 et L. 4141-2 du Code du travail ne comportent que des obligations générales de prudence et de sécurité relatives à l’organisation par l’employeur d’une formation aux travailleurs.

Or, la faute délibérée suppose la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Dès lors que les obligations prévues par les articles du Code du travail susvisés constituent des obligations générales, le défaut de formation ne saurait caractériser une faute délibérée et consommer le délit de l’article 222-20 du Code pénal.

Ainsi, ces deux arrêts démontrent d’abord que les juges peuvent apprécier la nature de la faute non intentionnelle – notamment en requalifiant une faute délibérée en faute caractérisée – à condition toutefois que le texte de l’infraction prévoie les deux types de fautes ou renvoie à l’article 121-3 du Code pénal.

Une telle requalification est possible pour des faits d’homicide involontaire mais ne peut l’être pour le délit de blessures involontaires avec incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois, tel que prévu à l’article 222-20 du Code pénal.

Cette dernière infraction suppose par ailleurs la caractérisation d’une faute délibérée, laquelle nécessite de déterminer l’obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement qui a été violée.