le 16/12/2021

Responsabilité contractuelle et décennale des constructeurs : vétusté et prise en compte du caractère historique de l’ouvrage

CE, 25 novembre 2021, n° 442977

Dans cette affaire, un groupement d’entreprise était intervenu pour effectuer des travaux de zinguerie sur le toit de la basilique Sainte-Clotilde à Reims, nécessitant l’usage d’un chalumeau. Une heure après le début des travaux, un incendie s’était déclaré au niveau de la toiture où intervenait l’entreprise, avant de se propager aux dômes nord de la basilique.

Par un jugement du 4 décembre 2018, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait notamment condamné solidairement les entreprises à verser à la société mutuelle d’assurance des collectivités locales (SMACL), assureur de la ville de Reims, en sa qualité de subrogée dans les droits de cette collectivité, une somme de 1.098.484 euros en réparation des préjudices subis du fait de cet incendie.

Les entreprises avaient alors formé appel qui a été rejeté par la Cour administrative d’appel de Nancy. C’est dans ces conditions que le Conseil d’Etat a été saisi.

Cet arrêt est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler les principes permettant de savoir si la vétusté d’un bâtiment peut donner lieu, lorsque la responsabilité contractuelle ou décennale des entrepreneurs et architectes est recherchée à l’occasion de désordres survenus sur un bâtiment, à un abattement, parfois non négligeable, affectant l’indemnité allouée au titre de la réparation des désordres.

Rappelons, que, à l’inverse des juridictions administratives, les juridictions judiciaires refusent quant à elle en principe d’appliquer un abattement pour vétusté de l’ouvrage.

Dans le cadre de la fixation du coût des travaux réparatoires, la vétusté s’apprécie classiquement, à la date d’apparition des désordres et que l’usage qui était fait du l’ouvrage peut être prise en compte (CE, 7 octobre 1983, n° 34966).

A titre d’illustration toute aussi récente, il a pu être retenu que « […] eu égard au temps écoulé et à la durée normale d’utilisation d’un revêtement de sol en résine, il y a lieu d’estimer qu’à la date d’apparition des désordres en 2010, ce revêtement était atteint d’une vétusté de 40 % » (CAA Bordeaux, 2 novembre 2021, n° 19BX00260).

La question d’une éventuelle plus-value apportée à l’ouvrage dans le cadre des travaux réparatoires aux dommages causés à la basilique pouvait donc se poser, et le Conseil d’Etat a tranché de la manière suivante :

« […] si la vétusté d’un bâtiment peut donner lieu, lorsque la responsabilité contractuelle ou décennale des entrepreneurs et architectes est recherchée à l’occasion de désordres survenus sur un bâtiment, à un abattement affectant l’indemnité allouée au titre de la réparation des désordres, il appartient au juge administratif, saisi d’une demande en ce sens, de rechercher si, eu égard aux circonstances de l’espèce, les travaux de reprise sont de nature à apporter une plus-value à l’ouvrage, compte tenu de la nature et des caractéristiques de l’ouvrage ainsi que de l’usage qui en est fait. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour administrative d’appel de Nancy, dont l’arrêt est suffisamment motivé, aurait commis une erreur de droit en prenant en considération le caractère historique de ce bâtiment pour apprécier s’il y avait lieu d’appliquer un coefficient de vétusté au montant de l’indemnité due au titre des travaux de réfection de la toiture de la basilique Saint-Clothilde doit être écarté ».

En définitive, les travaux réparatoires n’ont, compte tenu de la nature, des caractéristiques et de l’usage de l’ouvrage, pas été considérés comme de nature à lui apporter une plus-value et n’ont donc fait l’objet d’aucun abattement.

A noter que le Conseil d’Etat a aussi écarté tout manquement de la Commune à son obligation d’entretien de l’ouvrage, la présence de branchages, fientes d’oiseaux et poussières au niveau de la toiture étant visible et prévisible des constructeurs ayant exécuté les travaux à l’origine des désordres.

Enfin, dans cette affaire, le Conseil d’Etat s’est également prononcé sur les conditions de la subrogation d’un assureur dans les droits de son assuré en application des dispositions de l’article L. 121-12 du Code des assurances.

Il a ainsi été précisé que « est fondé à se prévaloir de cette subrogation l’assureur qui, bien que n’ayant pas produit la police d’assurance en exécution de laquelle il a indemnisé l’assuré, a mentionné dans le rapport d’expertise établi à sa demande les éléments concernant cette police et notamment les évènements garantis ainsi que les modalités d’indemnisation en cas de sinistre ».

En d’autres termes, afin de justifier avoir versé une indemnité en application d’un contrat d’assurance et corrélativement sa subrogation dans les droits de son assuré, l’assureur n’est pas tenu de produire sa police d’assurance et peut valablement se reporter au rapport d’expertise qui y fait référence (évènements garantis et modalités d’indemnisation).