le 11/03/2021

Refus d’Enedis de proposer un comptage en décompte : pas nécessairement d’abus de la part du GRD

Cass. Com., 10 février 2021, n° 19-14.928 et n° 19-17.343

La Cour de cassation a récemment eu à connaître d’une problématique de raccordement indirect au réseau public de distribution d’électricité.

La société Fibre excellence Tarascon (la société FET) exploite un site industriel qui comportait initialement deux installations de production électrique dénommées « TA1 » et « TA2 », pour le raccordement desquelles elle avait conclu avec la société ERDF, devenue Enedis, gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité, un contrat d’accès au réseau, entré en vigueur le 1er janvier 2006.

La société FET a ensuite été autorisée à exploiter une nouvelle unité de production dite « TA3 » dont la création nécessitait (au vu des volumes d’électricité à injecter dans le réseau public) le dépôt d’une nouvelle demande de contrat d’accès et la communication par ERDF d’une nouvelle proposition technique et financière (PTF). Après dépôt d’un dossier par la société FET, ERDF a délivré une PTF permettant l’adjonction de TA3 sur le réseau interne de la société FET et le comptage de son énergie.

Informée ultérieurement par la société FET que l’autorisation d’exploiter l’installation TA3 avait été, par un arrêté ministériel du 13 mai 2008, transférée à la société Bioenerg, la société ERDF a refusé de fournir une prestation de comptage à cette dernière au motif qu’elle n’était pas directement raccordée au réseau public de distribution puisqu’elle faisait transiter sa production d’électricité par les installations et le poste de raccordement de la société FET. La centrale TA3 a néanmoins été mise en service et l’électricité produite par elle a été injectée sur le réseau public d’électricité à compter du 20 mai 2009.

Après avoir porté le différend entre les parties a été devant le Comité de Règlement des Différends et des Sanctions (CoRDiS) de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), et conformément à la décision rendue par ce dernier, un contrat de service de comptage en décompte à effet au 1er décembre 2009 a été conclu entre ERDF et la société Bioenerg avec effet au 1er décembre 2009. Ce différend avait néanmoins donné lieu à plusieurs décisions juridictionnelles portant sur la question du bien-fondé du refus de comptage en décompte, et notamment à une décision de la Cour d’appel de Paris du 12 décembre 2013 (rendue après un arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2012) rejetant le recours de la société ERDF et confirmant le caractère mal fondé de son refus initial.

Et, reprochant à la société ERDF d’avoir, du 20 mai au 1er décembre 2009, refusé le comptage en décompte pour l’installation TA3, les sociétés Bioenerg et FET ont engagé une nouvelle procédure, de nature indemnitaire cette fois, en faisant valoir que le refus initial d’Enedis constituait un abus de position dominante sur le marché du comptage en décompte, en ce qu’il procédait de conditions de vente discriminatoires et imposait une vente liée, ainsi qu’un abus de la dépendance économique de la société Bioenerg.

Alors que le tribunal de commerce de Paris avait rejeté les demandes des deux sociétés par un jugement du 11 mars 2016, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 8 février 2019 a octroyé une indemnité de plus de 1,5 million d’euros aux demandeurs (379 871,21 euros pour la société Bioenerg et 1 244 108 euros pour la société FET, ces deux sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2014).

La Cour de cassation, saisie par Enedis, casse à son tour l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.

Parmi les différents moyens soulevés, Enedis soutenait notamment que les règles applicables en matière de raccordement indirect et de prestation de comptage en décompte n’avaient été clairement fixées qu’à compter de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2012 rendu dans le cadre du premier litige opposant les parties et qu’en conséquence entre le 20 mai 2009 et le 1er décembre 2009, le refus opposé par le gestionnaire du réseau de distribution aux deux sociétés ne pouvait être regardé comme abusif.

Ce raisonnement est en parti suivi par la Cour de cassation qui estime que la Cour d’appel de Paris a commis une erreur en s’abstenant de rechercher « pour apprécier le caractère abusif du comportement de la société Enedis, si ce n’était pas seulement à partir de la décision de la Cour de cassation que cette société était en mesure d’imposer au producteur, pour assurer la prestation de comptage qui lui incombait, même dans l’hypothèse d’un raccordement indirect, l’obligation de souscrire aux conventions de raccordement et d’exploitation, et de déterminer qui, du client hébergeur, la société FET, ou du producteur hébergé, la société Bioenerg, devait supporter la charge des normes de sécurité, et, par suite, de proposer aux intéressées les conditions du raccordement indirect conformes aux règles ainsi définies ».

La Cour de cassation ne tranche néanmoins pas le fond du litige et ne se prononce pas sur le caractère abusif ou non du comportement de la société Enedis mais renvoie à la Cour d’appel de Paris le soin de se prononcer sur cette question et sur le bien-fondé des demandes indemnitaires des deux sociétés.