le 17/09/2015

Réforme des marchés publics : quels changements pour les organismes soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 ?

Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics

Le 26 février 2014 ont été publiées de nouvelles directives « marchés » n° 2014/24 et 2014/25 qu’il appartient à la France de transposer avant le 18 avril 2016.

Le législateur national a souhaité, dans le cadre de leur transposition, procéder à une refonte de l’architecture du droit des marchés publics.

L’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, prise en application de la loi 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises habilitant le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour transposer ces directives et rationnaliser dans le même temps la commande publique, répond à ce double objectif, à travers la réunion, « au sein d’un corpus unique », des « règles régissant tous les contrats constituant des marchés publics au sens des directives communautaires, tout en conservant des dispositions propres à chaque catégorie de contrats et en prenant en compte les spécificités de certains acheteurs, notamment dans le secteur des réseaux » (Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics).

Désormais, pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices soumis au Code des marchés publics comme ceux soumis à l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés publics passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics relèvent d’un seul et unique texte, qui devrait en principe s’appliquer à compter du 1er janvier 2016.

Deux décrets d’application de l’ordonnance sont toutefois attendus : l’un pour les marchés passés dans les domaines de la défense et de la sécurité et l’autre dans les autres domaines.

La réforme, si elle ne révolutionne pas le régime actuel des marchés, emporte néanmoins des modifications importantes, tout particulièrement pour les pouvoirs adjudicateurs anciennement soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 : sociétés d’économie mixte, sociétés publiques locales, sociétés nationales, offices publics de l’habitat, SA d’HLM, établissements publics industriels et commerciaux, associations, etc.

Il est utile en ce qui les concerne d’examiner successivement les principales dispositions visant à faire évoluer le régime existant (1.) avant de présenter les mesures qui emporteront pour eux des contraintes nouvelles certaines (2.).

1. Les principales évolutions à retenir

– Toutes les personnes morales de droit public quelles qu’elles soient sont désormais soumises à l’ordonnance du 23 juillet 2015 ; il n’est donc plus nécessaire s’agissant d’un établissement public par exemple de vérifier s’il est, ou non, industriel et commercial et relève, en conséquence, du Code des marchés publics ou de l’ordonnance du 6 juin 2005 (article 10). En outre, les marchés publics conclus par ces « personnes morales de droit public » sont des contrats administratifs en application de l’article 3 de l’ordonnance. Il n’y a donc plus lieu de se rapporter aux critères jurisprudentiels de qualification d’un contrat administratif et la juridiction administrative sera dans tous les cas compétente.

– L’ordonnance consacre plusieurs exceptions jurisprudentielles : d’une part, elle reprend avec certains assouplissements le régime dit de la coopération verticale avec l’exception « in house » ou encore de quasi-régie : une entité pourra être en situation de « in house » si un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs exerce(ent) sur elle un contrôle analogue à celui exercé sur ses (leurs) propres services, si l’entité concernée exerce 80 % de ses activités avec le ou les pouvoirs adjudicateurs ou des entités qu’il(s) contrôle(nt) et si l’entité « ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par la loi qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée » (article 17) ; d’autre part, l’ordonnance introduit également l’exception jurisprudentielle dite de coopération horizontale : coopération entre pouvoirs adjudicateurs, y compris lorsqu’ils agissent en tant qu’entités adjudicatrices, dans le but de garantir que les services publics dont ils ont la responsabilité sont réalisés en vue d’atteindre des objectifs communs (article 18).

– Il sera désormais possible de constituer des groupements de commandes entre acheteurs nationaux, qu’ils soient soumis ou non à l’ordonnance, ainsi qu’avec des pouvoirs adjudicateurs d’autres Etats membres de l’Union européenne. Pour mémoire, l’ordonnance du 6 juin 2005 et ses décrets d’application n° 2005-1742 et n° 2005-1308 ne comportaient pas de disposition spécifique relative à la constitution de groupements de commandes (article 28).

– La définition du marché public de travaux est modifiée : ces marchés ont désormais pour objet (i) soit l’exécution, soit la conception et l’exécution de travaux dont la liste est définie par voie réglementaire ou, encore, (ii) soit la réalisation, soit la conception et la réalisation « d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ». On relèvera que la notion d’influence déterminante apparaît plus contraignante que la notion de besoin précisée par le pouvoir adjudicateur actuellement applicable (article 5).

– Il sera possible de recourir plus largement aux marchés globaux de performance, notamment lorsque les travaux portent sur des ouvrages soumis à la loi dite MOP du 12 juillet 1985, avec l’abandon du motif d’ordre technique (article 34).

– Lorsqu’un marché porte sur des investissements, l’acheteur sera tenu, au-delà d’un certain seuil fixé par voie réglementaire, de réaliser une évaluation comportant une analyse notamment en coût complet ayant pour objet de comparer les différents modes envisageables de réalisation du projet envisagé (article 40).

– Introduction d’une nouvelle procédure formalisée, la procédure concurrentielle avec négociation, aux cotés de la procédure négociée avec mise en concurrence préalable. La première procédure peut être lancée par un pouvoir adjudicateur là où la seconde procédure peut être lancée par une entité adjudicatrice (article 42).

– Possibilité de prendre en compte dans le marché des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi. La notion de « cycle de vie » est expressément visée pour la prise en compte de ces considérations (article 38).

– Un pouvoir adjudicateur peut décider de réserver la conclusion de marchés publics ou de lots à « des structures d’insertion par l’activité économique » ainsi qu’à des « entreprises de l’économie sociale et solidaire » (articles 36 et 37).

– Possibilité également pour l’acheteur d’exiger que « certaines tâches essentielles soient effectuées directement par le titulaire », lui interdisant de les sous-traiter. En outre, le droit au paiement direct des sous-traitants s’impose à tous les acheteurs (article 62).

2. Les contraintes nouvelles à intégrer

– Le principe de l’allotissement est généralisé à l’ensemble des marchés publics, étant rappelé qu’il n’était pas inscrit dans l’ordonnance du 6 juin 2005 (article 32).

– Est interdite l’insertion de toute clause de paiement différé pour l’ensemble des acheteurs – sauf la Caisse des dépôts et consignations et les acheteurs privés. – là où l’ordonnance du 6 juin 2005 prévoyait une interdiction vis-à-vis des seuls « établissements publics à caractère industriel et commercial de l’Etat » (article 60). Les offices publics de l’habitat ne pourront notamment plus y recourir.

– S’agissant du versement d’avances, d’acomptes ou de règlements partiels définitifs, leurs conditions d’octroi par certains acheteurs (l’Etat, les établissements publics autres qu’industriels et commerciaux de l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux) seront désormais fixées par voie règlementaire. Elles restent libres pour les autres acheteurs.

– Les communications effectuées en application de l’ordonnance seront réalisées par voie électronique, sous réserve des exceptions fixées par voie règlementaire (article 43).

– Introduction d’un régime spécifique pour la conclusion des contrats passés par des personnes privées qui ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs mais qui sont subventionnées à plus de 50% par un pouvoir adjudicateur (article 21).

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Les pratiques actuelles d’achat des pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices, soumis encore pour quelques mois aux dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005, doivent donc évoluer rapidement. Les décrets d’application annoncés, qui préciseront notamment le régime propre à chaque type de procédure de consultation et tout particulièrement celui du concours de maîtrise d’œuvre, la procédure de dématérialisation ou d’open-data ou encore les conditions de règlement financier ou de modification en cours d’exécution, sont d’autant plus attendus.

Thomas ROUVEYRAN, avocat associé et Céline RECORD, avocat