le 18/01/2018

La protection des lanceurs d’alerte s’étend lentement en Europe, mais des progrès s’affirment

La Loi du 9 décembre 2016 n°2016-1691 relative à la transparence à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

La justice Luxembourgeoise LuxLeaks reconnaît le statut de lanceur d’alerte à l’un des auteurs des fuites.
Les accords transmis à la presse par deux hommes, dans le cadre de l’affaire dite des « LuxLeaks » garantissaient pour la plupart une fiscalité très avantageuse aux branches luxembourgeoises de grandes multinationales, vers lesquelles les profits étaient artificiellement déplacés.
A la suite du vaste scandale qui résulta de la diffusion de ces informations, une directive imposant aux pays européens de s’échanger ces accords secrets, a été adoptée à l’automne 2015. L’un des auteurs des fuites a obtenu le prix du citoyen européen en 2015, décerné par le Parlement européen
Mais la justice Luxembourgeoise a tardé à tirer toutes les conséquences de ce scandale, puisque les deux auteurs des fuites étaient toujours poursuivis au début de l’année 2018 et que ce n’est que le 11 janvier dernier que la Cour de cassation du Luxembourg a reconnu pleinement le statut de lanceur d’alerte à l’un des auteurs des fuites, ancien auditeur Français au sein du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC).
Toutes les actions engagées contre lui pour vol domestique, divulgation de secrets d’affaires, violation de secret professionnel et blanchiment et ses condamnations en première instance comme en appel, se sont effondrées à l’exception des poursuites pour avoir emporté des documents qu’il n’a pas diffusés.
L’autre auteur des fuites n’a, toutefois, pas encore obtenu le statut reconnu au premier et demeure condamné à plusieurs titres. Ses avocats ont annoncé un recours devant la CEDH. Ses chances de succès devraient y être fortes si l’on se rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu le statut de lanceur d’alerte, dès 2008, et considère qu’il autorise à violer légitimement d’autres obligations légales, comme le secret des affaires, si cela permet de révéler des informations d’intérêt général.
Des progrès donc, mais encore limités. Six pays, dont la France, sur les 28 pays de l’Union européenne, ont institué une protection légale expresse des lanceurs d’alerte. Ces législations restent imparfaites.
Ainsi, en France, la procédure de signalement* n’est pas simple et n’autorise à alerter la presse qu’après plusieurs démarches (alerter le référent ou son supérieur hiérarchique puis l’autorité judiciaire puis, en cas d’inaction, alerter la presse), sous peine de se retrouver devant les tribunaux pour « signalement abusif ou déloyal ».
La procédure de signalement exclut, en outre, les personnes morales, associations, ONG, les IRP (institutions représentatives du personnel) dans les entreprises, les organisations syndicales. Les journalistes, les inspecteurs du travail, les magistrats, extérieures à l’entreprise, ne peuvent bénéficier de cette protection.
Enfin, si le mécanisme de création d’une Directive européenne a été enclenché avec le vote, d’un rapport en ce sens le 24/10/17 par le Parlement européen, une longue procédure reste à suivre.
Encore sous le coup de l’explosion d’une bombe disposée sous la voiture d’une lanceuse d’alerte maltaise*, le Parlement européen a réagi rapidement, il reste encore à la Commission à en faire une loi pour les Etats membres. Ce qui signifie de longues négociations avec les eurodéputés, les 28 pays.

Une chose est certaine, les lanceurs d’alerte seront très vite de nouveau en pleine actualité. Volet connexe de l’affaire LuxLeaks, la justice française doit, se prononcer le 6 février 2018, sur la validité d’une ordonnance délivrée par le tribunal de grande instance de Metz en 2014, ayant permis à PwC de faire fouiller le domicile de l’un des lanceurs d’alertes en 2014 pour identifier s’il était la source du journaliste. Le parquet a estimé, mardi 9 janvier, qu’une telle ordonnance était «de nature à porter atteinte directement et indirectement au secret des sources des journalistes, sans motif légitime». A suivre de près.

*loi Sapin II du 9/ 2/2016 transparence, lutte contre la corruption et loi organique du 9/12/2016 sur la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte
**assassinat d’une journaliste maltaise anti-corruption, Daphne Caruana Galizia, tuée le 16 octobre 2016 par une bombe placée sous sa voiture.