le 21/11/2019

Propos diffamatoires contre un maire : office du juge et étendue de la liberté d’expression dans le cadre d’un débat d’intérêt général

Cass. Crim., 15 octobre 2019, n° 18-83255

Le Maire d’une commune a fait citer une personne devant le Tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public. Il reprochait à cette personne en sa qualité de directeur de la publication, d’avoir mis en ligne sur son site internet un texte titré « scandale financier à … » et comprenant les propos suivants poursuivis : « Le maire de […] prend chaque mois totalement illégalement 50 euros aux personnes âgées qu’il est supposé assister » et « L’origine de cet impôt illégal« .

Cette publication avait pour contexte un conflit judiciaire opposant le Maire de la Commune en sa qualité de Président du C.C.A.S de la Ville, propriétaire d’une résidence pour personnes âgées et certains de ses résidents se plaignant de hausse de loyers dans la résidence.

Le Tribunal correctionnel déclarait le prévenu coupable de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public. Ce dernier relevait appel de sa condamnation.

La Cour d’appel, pour confirmer le jugement de première instance, avait considéré que les propos étaient diffamatoires en ce qu’ils imputaient au Maire, des agissements susceptibles de revêtir la qualification pénale de vol à l’encontre de personnes vulnérables et à tout le moins, d’abus de pouvoir par un détenteur de l’autorité publique.

Ces propos contraires à l’honneur ou à la considération du Maire, contenaient selon la Cour, l’imputation de faits précis susceptibles de débats sur une preuve contraire. Par ailleurs, pour écarter la bonne foi du prévenu, les juges d’appel avaient considéré que le prévenu n’avait procédé à aucune recherche sérieuse sur le sujet dont il traitait et que ses imputations ne reposaient sur aucune base factuelle suffisante.

La Cour de cassation, notamment au visa de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel : « Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que, d’une part, le texte litigieux participait d’un débat d’intérêt général relatif à l’exercice par le maire de ses responsabilités dans la gestion d’une résidence pour personnes âgées, d’autre part, le prévenu, qui n’est pas un professionnel de l’information, n’était pas tenu aux mêmes exigences déontologiques qu’un journaliste, la cour d’appel, qui devait analyser précisément les pièces produites par le prévenu au soutien de l’exception de bonne foi, pièces qui avaient seulement été énumérées par les premiers juges en tant qu’elles avaient été jointes à l’offre de preuve, afin d’apprécier, au vu de ces pièces et de celles produites par la partie civile pour combattre cette exception, et en considération de ce qui précède, la suffisance de la base factuelle, n’a pas justifié sa décision ».

L’arrêt de la Cour de cassation vient rappeler ainsi l’étendue de la liberté d’expression des non professionnels de l’information dans le cadre d’un débat d’intérêt général. La Cour y souligne par ailleurs, que l’admission ou le rejet de l’exception de bonne foi, ne peut être décidé qu’après une analyse effective des pièces produites par la personne mise en cause : « Attendu qu’il se déduit du deuxième de ces textes que, si c’est au seul auteur d’imputations diffamatoires qui entend se prévaloir de sa bonne foi d’établir les circonstances particulières qui démontrent cette exception, celle-ci ne saurait être légalement admise ou rejetée par les juges qu’autant qu’ils analysent les pièces produites par le prévenu et énoncent précisément les faits sur lesquels ils fondent leur décision ».

Au-delà d’une protection accrue de la liberté d’expression citoyenne dans le cadre de questions relevant d’un débat d’intérêt général, les juridictions sont donc invitées à ne pas occulter l’analyse effective de l’ensemble des pièces produites par les mis en cause afin d’apprécier la bonne foi et la base factuelle dont ils disposent au moment des faits.