le 30/08/2016

Une procédure de marché sanctionnée par la voie d’une offre anormalement basse et d’un jeu « à trois bandes »

TA de Nantes, 21 juin 2016, Société Joul, n° 1604489

C’est par une voie bien originale que le Tribunal administratif de Nantes a annulé une procédure de passation d’un marché de services portant sur la mise en place d’un dispositif de géolocalisation des véhicules d’un réseau interurbain de transport de voyageurs : il a jugé que la société requérante soulevait un manquement qui était susceptible de la léser, et ce alors même que le manquement ne concernait ni l’offre de l’attributaire, ni son offre, mais l’offre d’un autre candidat évincé qui était affectée en effet d’un caractère anormalement bas et qui aurait donc dû être rejetée (Tribunal administratif de Nantes, 21 juin 2016, Société Joul, n° 1604489).

Le Tribunal administratif a expliqué cette potentielle lésion par la circonstance que si cette  offre anormalement basse avait été écartée par le pouvoir adjudicateur, l’offre de la société requérante « aurait été la moins disante et aurait obtenu la meilleure note sur le critère du prix ».

Originale par ce « jeu à trois bandes », cette ordonnance s’inscrit sinon dans un univers classique. Elle conforte en effet par ailleurs la circonstance selon laquelle, en application d’une décision bien connue du Conseil d’État (Conseil d’État, 3 octobre 2008, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l’élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe, n° 305420) et de l’article L. 551-10 du Code de justice administrative, un manquement invoqué par un requérant dans le cadre d’un référé précontractuel peut être opérant, même si le requérant qui l’invoque ne prouve pas que le marché lui aurait été nécessairement attribué en l’absence de ce manquement : il suffit que le mérite de son offre ait été significativement « bousculé » par le manquement de l’acheteur pour qu’il puisse être lésé. En l’espèce, le Juge des référés a considéré que l’absence de rejet de l’offre anormalement basse a constitué un bouleversement significatif dans l’appréciation de l’offre du requérant, puisque finalement premier sur le critère prix (une fois l’offre anormalement basse exclue du classement), le requérant aurait dû recueillir le maximum de points sur ce critère et donc fatalement obtenir une meilleure note au global.

Croustillante à plusieurs égards, cette ordonnance n’est toutefois pas sinon exempte de tout reproche, à tout le moins dans la mesure où le Juge des référés ne statue pas réellement sur un moyen de défense qui consistait à soutenir que l’offre de la société requérante était elle-même anormalement basse et que la requête en référé était donc inopérante dans sa globalité et devait être rejetée …faute de lésion.