le 12/10/2016

Construire avec le BIM : éléments d’analyse juridique

Le BIM (Building Information Modeling) est un processus collaboratif permettant aux différents intervenants à une opération de construction de partager, à tous les stades du projet, les informations relatives à la conception, l’exécution et l’exploitation d’un bâtiment. Ce travail collaboratif s’effectue notamment autour d’une maquette numérique accessible à l’ensemble des intervenants.

Ce processus collaboratif peut être adopté à différents niveaux, qui sont communément définis en fonction du degré d’interaction numérique. Ces niveaux sont classés de 0 à 3.

Selon cette classification, le BIM de niveau 0 n’implique aucune forme de collaboration entre les intervenants, il s’agit d’une simple création assistée par ordinateur, sans interaction numérique.

Le BIM de niveau 1 prévoit, quant à lui, une interaction numérique ainsi que l’utilisation d’une maquette 3D mais uniquement pour la phase de visualisation et conception du bâtiment, alors que la phase de construction est réalisée en utilisant des fichiers 2D. Ce niveau de BIM est actuellement le plus utilisé, la collaboration entre les intervenants étant assez limitée dans la mesure où les maquettes réalisées en 3D dans ce niveau par un intervenant n’ont pas vocation à être modifiées par les autres intervenants.

Le BIM de niveau 2 permet une collaboration et interaction numérique plus poussée. Les intervenants peuvent modifier les fichiers 3D pendant la phase de construction des bâtiments, et les différents intervenants peuvent travailler sur les mêmes données pour les faire évoluer. Les données sont partagées sous format d’un fichier commun, l’échange des données n’est cependant pas simultané dans la mesure où elles sont rajoutées dans le fichier commun les unes après les autres et transmises aux autres intervenants qui pourront à leur tour rajouter ou modifier les données reçues.

Enfin, le BIM de niveau 3 permet une collaboration totale entre les intervenants, les échanges et les modifications sur la maquette peuvent être simultanés et les données pourront être utilisées même après la phase de construction, c’est-à-dire pendant la phase d’exploitation. Ce niveau de BIM est caractérisé par un fichier unique stocké sur un serveur centralisé auquel tous les intervenants ont accès en même temps.

Les formes de collaboration en BIM sont donc diverses et n’engendrent pas les mêmes problématiques juridiques. En réalité, nous le verrons, plus les interactions entre les différents intervenants sont importantes et concomitantes, plus les difficultés juridiques sont accrues.

Ainsi, le BIM et surtout le BIM de niveau 2 et 3, soulève d’importantes questions relatives au droit de la commande publique (I), à la responsabilité des intervenants à l’acte de construire (II), et à la propriété intellectuelle (III).

1. Le BIM et le droit de la commande publique

Si le BIM est un processus collaboratif auquel les intervenants à l’acte de construire privés sont totalement libres de recourir, il engendre un certain nombre de questionnements, notamment juridiques, qui peuvent effrayer les constructeurs et pose, en matière de commande publique, des problématiques particulières.

C’est pourquoi une réglementation en la matière était très attendue par les professionnels du secteur.

Cette réglementation est intervenue grâce à la directive marchés publics n° 2014/24/UE en date du 26 février 2014. La réglementation du BIM est donc étroitement liée au droit de la commande publique puisque c’est par ce biais qu’il a fait son apparition dans le droit européen.

Ainsi, l’article 22.4 de la directive prévoit que « pour les marchés publics de travaux et les concours, les États membres peuvent exiger l’utilisation d’outils électroniques particuliers tels que des outils de modélisation électronique des données du bâtiment ou des outils similaires. Dans ces cas, les pouvoirs adjudicateurs offrent d’autres moyens d’accès, selon les dispositions du paragraphe 5, jusqu’à ce que ces outils soient devenus communément disponibles au sens de paragraphe 1, premier alinéa, deuxième phrase ».

Une grande latéralité est donc laissée aux Etats membres qui sont libres d’imposer, ou non, le recours à de tels outils électroniques.

Cette directive a été transposée en France par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 qui a opéré une profonde refonte du droit de la commande publique en France. En effet, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices soumis auparavant respectivement au Code des marchés publics, d’une part, et à l’ordonnance de 2005, d’autre part, sont désormais soumis à un seul et même texte.

Le décret d’application a été publié, concernant les marchés publics, le 25 mars 2016 (n° 2016-360). C’est ce décret qui détaille les dispositions applicables pour le BIM. Ces dispositions étaient très attendues par les professionnels du secteur car la France aurait pu faire le choix, comme l’ont fait d’autres Etats européens, d’imposer le recours au BIM dans les marchés publics.

Ce ne fut pas le choix opéré : le législateur a semble-t-il fait le choix de l’incitation plutôt que de la contrainte et n’impose pas aux maîtres d’ouvrage publics de recourir à ces nouveaux modes collaboratifs.

Ainsi, l’article 42 du décret du 25 mars 2016 ouvre la possibilité aux acheteurs publics d’imposer le recours des outils électroniques tels que le BIM, mais aucune disposition du texte n’impose à ces mêmes acheteurs d’y recourir.

Ce faisant, le législateur n’a pas réellement innové en la matière : il s’est contenté de prévoir les conditions dans lesquelles le recours à ce type de moyens électroniques n’est pas discriminatoire sans pour autant prévoir une réglementation détaillée sur ce point. Il n’est pas allé au-delà du législateur européen, il a fait une transposition a minima.

La seule réglementation applicable en la matière n’est donc pas très éclairante sur les problématiques juridiques soulevées par le BIM.

La question s’est alors posée de savoir s’il était nécessaire de modifier la réglementation applicable aux marchés publics de travaux afin de prévoir de façon optimale les conditions dans lesquelles le recours au BIM peut s’effectuer.

Il apparaît, à la(re)lecture de la réglementation applicable qu’en réalité rien n’interdit de recourir à ce type de moyens numériques et que, une fois précisées les possibilités d’imposer – et dans quelles conditions le faire – les outils numériques, la situation juridique ne devrait pas fondamentalement être modifiée par ce nouveau mode de travail collaboratif.

Toutefois, la réglementation relative à la commande publique est un carcan ne laissant pas beaucoup de latéralité aux maîtres d’ouvrage public.

Certaines dispositions, applicables aux marchés publics de travaux, apparaissent donc obsolètes et ne sont pas du tout adaptées aux outils numériques.

Il en est ainsi avec les dispositions tirées des décrets d’application de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP.

En effet, si cette loi prescrit des grands principes qui peuvent être adaptés et ne révèle pas de contre-indication majeure à l’utilisation d’outils numériques, son décret d’application en revanche, rédigé à l’ère du papier, se révèle totalement inadapté à ces nouveaux outils.

Le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 décrit ainsi de manière détaillée le contenu des missions ainsi que les formes des études et des dossiers de consultation. Ceux-ci sont nécessairement adaptés à des échanges papiers entre les différents intervenants.

Dès lors, il apparaît, à notre sens, nécessaire qu’une refonte ou, du moins, une actualisation de ces textes puisse intervenir.

En tout état de cause, devant l’absence presque totale de réglementation et afin de respecter les principes essentiels de la commande publique (liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures), il sera indispensable au maître d’ouvrage de bien définir ses besoins et ses exigences, dès le stade de l’appel public à la concurrence et, le cas échéant, de s’attacher les services d’une assistance à la maîtrise d’ouvrage formée à ces nouveaux outils numériques.

Outre les problématiques juridiques liées à la commande publique, le BIM pose également des questions relatives à la responsabilité des différents intervenants.

2. Les responsabilités liées à l’utilisation du BIM

L’utilisation du BIM niveau 2 et 3 engendrera de nouvelles responsabilités dont il est difficile, d’envisager les contours exacts. En effet, il n’existe à ce jour, aucune décision de justice se prononçant sur ces questions de responsabilité, l’utilisation du BIM étant trop récente.

L’interrogation principale concerne la mise en œuvre des responsabilités légales des constructeurs issues des articles 1792 et suivants du Code civil. En effet, selon l’article 1792-2 de ce code, il pèse sur les intervenants à la construction une présomption de responsabilité dès lors qu’ils sont liés au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage.

Cette question concerne essentiellement la responsabilité du BIM Manager et de son niveau d’intervention dans l’utilisation de la maquette. En effet, le BIM Manager, tout en étant lié contractuellement au maître d’ouvrage, peut voir son intervention limitée à une gestion pure et simple de l’outil informatique sans intervention sur la construction en elle-même.

Dans cette hypothèse, bien que lié juridiquement au maître d’ouvrage la présomption de responsabilité ne devrait pas, selon nous, trouver à s’appliquer. En revanche, il semblerait que la responsabilité du BIM Manager ne puisse, dans cette hypothèse, qu’être de nature contractuelle. Il en serait ainsi en cas notamment, de perte des données ou d’apparition de virus rendant l’utilisation de l’outil informatique, dont il s’est vu confier la gestion, impossible.

En revanche, dès lors que le BIM Manager interviendra sur la conception de l’ouvrage en assemblant notamment les maquettes des différents contributeurs ou en établissant les rapports de conflits consacrés aux interférences des différentes copies de la maquette, son rôle pourra, selon nous être réellement assimilé à celui-ci d’un constructeur, sur lequel pèsera donc la présomption de responsabilité.

Toutefois, pour que la présomption qui pèse sur les constructeurs s’applique, il n’en demeure pas moins que les éventuels désordres doivent leur être imputables.

Or, dans cette hypothèse, il sera difficile de déterminer si les désordres proviennent d’une erreur de maniement du logiciel, susceptible de n’engager que la responsabilité contractuelle du BIM Manager, ou s’ils proviennent d’une véritable erreur de conception de l’ouvrage entraînant la mobilisation de garanties légales. Ainsi, dans l’hypothèse où le rôle de BIM Manager serait confié au maître d’œuvre ou à l’une des entreprises, le champ de leur responsabilité sera étendu.

Toutefois, cet élargissement devrait, en principe n’être que théorique, dans la mesure ou l’un des objectifs du BIM est de limiter les erreurs actuellement issues de la multiplicité des documents techniques et aux saisies successives de données, lesquelles sont à l’origine de nombreuses erreurs de conception ou d’exécution.

En outre, du fait de la baisse des coûts attendus en cas de mise en place d’un projet BIM et de la diminution des risques de sinistres, une baisse des coûts des assurances construction telles que l’assurance Dommages-ouvrage ou les assurances décennales est théoriquement envisageable. Quel que soit le rôle des différents intervenants et utilisateurs de la maquette, il convient que le rôle de chacun soit préalablement et suffisamment défini en amont afin d’éviter toute contestation ultérieure susceptible d’intervenir en cas d’apparition d’un sinistre.

Pour ce faire, il importe que les limites de chaque intervenant soient connues de l’ensemble des autres parties afin que celles-ci leur soient opposables. A ce titre, un tableau récapitulatif reprenant les limites de chacun des contributeurs doit, selon nous être annexé aux différents marchés.

Par ailleurs, se pose également la question de la responsabilité des éditeurs de logiciels, lesquels peuvent tenter de limiter leur responsabilité en cas de défaut affectant le logiciel vendu. Il peut en effet s’avérer que le logiciel comporte une erreur de programmation à l’origine d’un défaut de conception ou d’exécution de l’ouvrage. Au même titre que pour la responsabilité des contributeurs il convient de s’assurer, en amont, que les clauses du contrat de vente n’ont pas pour effet de décharger les éditeurs de toute responsabilité. Il appartient également à l’acquéreur de logiciel et aux contributeurs, eu égard à l’utilisation dans le temps de la maquette numérique, de veiller à prévoir dans le contrat une clause de réversibilité permettant, à l’issue du contrat de licence, d’avoir malgré tout l’accès aux données. La difficulté résidant cependant dans le fait qu’il n’existe à ce jour que peu d’éditeurs de logiciels, et que toute négociation ayant pour objet de voir renforcer leur responsabilité risque d’être particulièrement délicate.

Enfin, le BIM soulève également d’importantes questions en matière de propriété intellectuelle.

3. Les questions de propriete intellectuelle soulevées par le BIM

Plusieurs intervenants étant impliqués dans le processus du BIM, l’une des difficultés qui se posent est celle de savoir qui peut être considéré comme « auteur » de l’œuvre qui en résulte (A).

L’autre difficulté est liée au fait que la mise en commun des informations sur une base de données librement accessible à tous les intervenants peut se heurter à la réglementation en matière de protection des données personnelles et aux droits de propriété intellectuelle (B).

A. La protection par le droit d’auteur de l’œuvre résultant du BIM

Le droit d’auteur protège les œuvres générées pendant ce processus (le bâtiment final, mais également la maquette numérique, le logiciel, les plans) dès lors qu’il est possible de prouver leur caractère original (article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI)). Ce droit d’auteur confère à la fois un droit moral et un droit patrimonial, c’est-à-dire d’exploitation.

En principe, la qualité d’auteur appartient à celui sous le nom de qui l’œuvre est divulguée (article L.113-1 CPI), mais plusieurs régimes de protection pourraient s’appliquer en présence d’une multiplicité de contributeurs, comme dans le cas du processus BIM.

Premièrement, l’œuvre pourrait être considérée comme une œuvre de collaboration, définie comme « l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » (article L.113-2 alinéa 1er du CPI). Toute personne qui rapporte la preuve de sa collaboration est investie des droits d’auteur, ce qui signifie que l’exploitation de l’œuvre dépend du commun accord des co-auteurs. Le BIM de niveau 3 pourrait être qualifié d’œuvre de collaboration.

Deuxièmement, l’œuvre peut être considérée comme une œuvre composite, c’est notamment le cas du BIM de niveau 2. Elle est définie comme « l’œuvre  nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière » (article L.113-2 alinéa 2 du CPI).

L’œuvre créée par un premier intervenant est incorporée dans l’œuvre créée par un deuxième intervenant. Le dernier intervenant sera considéré comme auteur de l’œuvre dans sa globalité, même si les autres contributeurs demeurent auteurs de leurs contributions prises individuellement.

Enfin, l’œuvre peut être considérée comme une œuvre collective, c’est-à-dire « l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé » (article L. 113-2 alinéa 3 du CPI). Il s’agit du cas où une personne, physique ou morale, coordonne chaque intervention ; cette personne sera investie, dès le départ, des droits d’auteur. Dans ce cas, une seule personne a la qualité d’auteur, ce qui rend l’exploitation de l’œuvre plus aisée à gérer car elle ne sera pas soumise à l’accord d’une multiplicité de personnes.

C’est pourquoi, dans le cadre des niveaux 2 et 3, il convient de déroger contractuellement aux régimes de l’œuvre de collaboration et de l’œuvre composite en faveur de l’œuvre collective.

B. Le traitement des données

Les données mises en commun dans le cadre du processus BIM, notamment en ce qui concerne les niveaux 2 et 3, pourraient être facilement exportables, ce qui soulève de nombreuses difficultés.

Ces données se distinguent en données personnelles et données non personnelles.

En ce qui concerne les données personnelles, leur traitement est soumis à la loi « Informatique et Libertés » n° 78-17 du 6 janvier 1978 qui les définit comme les données qui permettent « d’identifier directement ou indirectement une personne physique ».

Les articles 22 et suivants de cette loi prévoient que l’utilisation des données personnelles doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la Commission Nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), précisant la finalité, la durée, les conditions d’utilisation ainsi que les noms des personnes ayant accès aux données. Par ailleurs, les personnes sujettes à la collecte et au traitement doivent en être informées par le responsable du traitement.

En matière de BIM, les informations à fournir ne sont pas nécessairement connues au moment de la déclaration. Il est donc utile de préciser à la CNIL, dès le départ, que certains renseignements dépendront de l’évolution du projet.

Toute infraction à ces dispositions est sanctionnée pénalement par une amende de 300.000 euros et/ou une peine d’emprisonnement de 5 ans (article L. 226-17 du Code pénal), d’où l’importance de prendre toute précaution utile à garantir la sécurité des fichiers.

En ce qui concerne les données non personnelles, elles peuvent faire l’objet, dans certains cas, d’une protection par les droits de propriété intellectuelle.

Tout d’abord, les bases de données font l’objet d’une protection découlant de la directive européenne n° 96/09 du 11 mars 1996, transposée en droit français par l’article L. 341-1 du CPI. Le producteur d’une base de données bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsqu’il peut attester d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Dès lors que cet investissement important est démontré, le producteur d’une base de données peut s’opposer à son utilisation non autorisée.

Par ailleurs, les données mises en commun  peuvent donner lieu à un procédé technique. Dans ce cas, il est possible de déposer un brevet, qui sera accordé lorsque le procédé technique est une invention nouvelle impliquant une activité inventive et susceptible d’application industrielle (article L. 611-10 du CPI).

Enfin, les données peuvent constituer des dessins et modèles, qui seront protégés lorsqu’ils présentent un caractère propre et nouveau (article L. 511-2 du CPI).

Ainsi, lorsque les données sont protégées au titre des droits de propriété intellectuelle, les titulaires de tels droits pourront s’opposer à une diffusion non autorisée des données.

Ainsi, il s’avère que l’utilisation du BIM soulève à ce jour de nombreuses interrogations juridiques plus qu’il n’apporte de réponses.

Les premiers retours d’expériences permettront de cerner plus précisément les problématiques éventuelles liées à l’utilisation  du BIM.

Cyril CROIX, Barbara DUFRAISSE et Francesca PAGGI
Avocats à la cour