le 12/04/2018

Précisions sur le régime contentieux du refus de l’administration d’abroger ou de retirer un permis de construire frauduleux

CE, 5 février 2018, n° 407149

L’administration peut procéder au retrait, sans condition de délai, d’un permis de construire délivré à un pétitionnaire qui a obtenu l’autorisation de construire par des manœuvres frauduleuses destinées à tromper le service instructeur sur la réalité du projet  (CE, 21 novembre 2012, n° 350684) ou sur sa qualité de demandeur (CE, 6 décembre 2013, n° 354703)

Ainsi, la reconnaissance d’une fraude commise par le pétitionnaire, reconnue par « l’intention de tromper l’administration » (CE, 9 octobre 2017, n° 398853) autorise cette dernière à retirer le permis de construire au-delà du délai de trois mois fixé par les dispositions de l’article L. 424-5 du Code de l’urbanisme. En effet, l’article L. 241-2 du Code des relations entre le public et l’administration dispose que « par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ».

Si la reconnaissance d’un permis frauduleux permet de déroger au principe selon lequel les autorisations d’urbanisme ne peuvent être retirées que dans un délai de trois mois, et à la condition seulement d’être illégales, en revanche, elle n’a pas pour conséquence de proroger le délai de recours contentieux à l’égard des tiers (CE, 17 mai 1999, n°172918).

Ces derniers ne peuvent invoquer la fraude et solliciter l’annulation de l’autorisation au-delà du délai de recours contentieux de deux mois dès lors que les formalités d’affichage sur le terrain ont été respectées. Partant, l’unique solution pour les tiers désireux de contester un permis de construire frauduleux réside dans la possibilité de solliciter la mise en œuvre du pouvoir de retrait ou d’abrogation de l’administration.

Dans l’hypothèse où l’administration refuse de faire usage de son pouvoir d’abroger ou de retirer l’acte, le Conseil d’Etat reconnait, dans sa décision du 5 février 2018, qu’« un tiers justifiant d’un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l’annulation de la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d’abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l’a saisie d’une demande à cette fin ».

Un tiers peut donc solliciter à tout moment auprès de l’administration le retrait ou l’abrogation d’une autorisation obtenue aux termes de procédés frauduleux et, en cas de refus opposé à sa demande, contester, dans le délai de deux mois, cette décision par laquelle l’administration a refusé de faire usage de ces prérogatives.

Dans un tel cas, le Conseil d’Etat précise qu’il incombe au juge administratif, de vérifier « la réalité de la fraude alléguée »  et « de contrôler que l’appréciation de l’administration sur l’opportunité de procéder ou non à l’abrogation ou au retrait n’est pas entachée d’erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l’acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait ».

Si cette solution est favorable aux  tiers, le retrait ou l’abrogation du permis ne sera pas pour autant systématique. Ces derniers devront démontrer l’existence d’une fraude, sachant qu’il reste difficile de prouver l’intention frauduleuse du pétitionnaire et que la notion de « manœuvre frauduleuse » est appréciée strictement en jurisprudence.

Le Conseil d’Etat précise également que, dans l’hypothèse où la fraude serait caractérisée, il n’en demeure pas moins que le juge administratif pourra, au moyen d’un contrôle restreint,  rejeter le recours dirigé contre une décision refusant de faire droit à cette demande de retrait ou d’abrogation, si après une mise en balance,  les différents intérêts publics ou privés en présence justifient le maintien de l’autorisation de construire.