le 19/12/2018

Précisions sur la passation d’un marché public sans publicité ni mise en concurrence pour des motifs d’ordre technique

CE, 10 octobre 2018, CIREST, n° 419406

La décision du 10 octobre 2018 a été l’occasion pour le Conseil d’Etat d’apporter des précisions sur les conditions permettant de conclure un marché sans publicité ni mise en concurrence sur le fondement du 3° du I de l’article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Cette décision permet également d’apprécier l’importance d’informer l’organe délibérant d’une personne publique pour qu’il autorise son organe exécutif à signer un marché public.

Le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l’Est (ci-après, le « SYDNE ») a conclu, le 10 novembre 2017, avec la société Inovest, sans publicité ni mise en concurrence, un marché de services de tri, traitement, stockage et enfouissement des déchets non dangereux, pour un montant de 243 millions d’euros et une durée de quinze ans.

La communauté intercommunale Réunion Est (ci-après, le « CIREST »), membre du SYDNE, et le premier vice-président du comité syndical du SYDNE, ont introduit un recours en contestation de la validité de ce marché devant le tribunal administratif de La Réunion. Ils ont également présenté devant le juge des référés de ce tribunal, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, une demande tendant à la suspension de l’exécution du marché. Le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a rejeté cette demande par une ordonnance du 13 février 2018 contre laquelle la CIREST et le premier vice-président du comité syndical du SYDNE ont introduit un pourvoir en cassation.

En première instance, les requérants soutenaient que le fait pour le comité syndical d’avoir autorisé son président à signer le contrat litigieux au vu d’un rapport qui ne comportait pas le prix du marché et sans disposer du projet de contrat ni d’aucun document préparatoire ou annexe, et sans pouvoir, en conséquence, appréhender la totalité des modalités d’exécution et les risques financiers de ce contrat, faisait peser un doute sérieux sur la légalité du marché en litige. Le juge des référés a toutefois relevé qu’un tel vice, alors même qu’il serait de nature à entraîner l’annulation du contrat, était au nombre de ceux qui peuvent être régularisés par l’adoption d’une nouvelle délibération Il en a déduit que ce vice n’était donc pas de nature à faire peser un doute sérieux quant à la légalité du marché en litige. Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement aux motifs « qu’en jugeant qu’un vice affectant les conditions dans lesquelles la personne publique a donné son consentement à être liée par un contrat ne saurait conduire à sa suspension, au seul motif qu’il est susceptible d’être régularisé et n’est donc pas de nature à entraîner inéluctablement l’annulation du contrat, le juge des référés a entaché son ordonnance d’erreur de droit ». Il annule donc l’ordonnance litigieuse et, en application de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative, règle l’affaire au titre de la procédure de référé engagée.

Après avoir rappelé qu’au titre de la jurisprudence « Tarn et Garone » (CE, Ass., 4 avril 2014, Département du Tarn et Garonne, n° 358994) les parties sont parfaitement fondées à assortir leur recours en contestation de validité contractuelle d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat, le Conseil d’État écarte la fin de non-recevoir par le SYDNE et déclare les recours recevables.

Appréciant l’urgence, le Conseil d’Etat constate que l’exécution du marché risquerait d’affecter de façon substantielle les finances du SYDNE et serait susceptible de créer, à brève échéance, une situation difficilement réversible alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que le site actuel de stockage des déchets arriverait à saturation dans un délai tel que la suspension du marché contesté porterait une atteinte grave et immédiate à un intérêt public. Il conclut donc à l’existence d’une urgence à suspendre l’exécution du marché litigieux.

Le Conseil d’État commence par relever que le marché a été conclu sans publicité ni mise en concurrence sur le fondement de l’article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Le SYDNE justifiait le recours à cette procédure dérogatoire aux motifs qu’il existerait un risque de saturation de l’installation de stockage des déchets non dangereux dès 2020 et que la société Inovest était le seul opérateur en capacité d’apporter une solution de tri et de valorisation des déchets non dangereux pouvant être mise en œuvre courant 2019. Cependant, le Conseil d’État constate, au terme de l’instruction, que l’installation de stockage ne devait pas être saturée avant la fin de 2021 et qu’il n’apparaissait donc pas qu’aucun autre opérateur économique n’aurait pu se manifester si le calendrier retenu par le SYDNE avait été différent. Le Conseil d’État juge donc que l’absence de concurrence résulte d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché public et que le SYDNE a méconnu les dispositions de l’article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, ce qui est de nature à créer un doute sérieux sur la validité du marché.

Les conditions du référé suspension étant remplie, il suspend l’exécution du marché litigieux.