le 19/03/2020

Précisions juridiques autour du report du second tour des municipales

Décret n° 2020-267 du 17 mars 2020 portant report du second tour du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, initialement fixé au 22 mars 2020 par le décret n° 2019-928 du 4 septembre 2019

Par un décret particulièrement succinct du 17 mars 2020, il a été décidé de reporter le second tour des élections municipales et communautaires en cours. Ce report pose des questions tenant, d’une part, à ses conditions juridiques (I) et, d’autre part, à ses conséquences (II). 

 

1 – Les conditions du report du second tour des élections municipales  

Dimanche 15 mars, lors d’un scrutin marqué par la menace pandémique, le taux de participation aux élections municipale était d’environ 38,77%, alors qu’il était de près de 55% aux dernières élections municipales de 2014. Dans une allocution du 16 mars 2020, le Président de la République a annoncé un report du deuxième tour des élections municipales.  

Cette annonce va nécessiter une mobilisation de moyens juridiques importants dans un délai court, qui ne permettront probablement pas de lever toutes les ambiguïtés de la situation. 

 

Le cadre juridique du report des élections  

Concernant les élections locales, aucune disposition légale ne prévoit les cas limitatifs dans lesquels elles doivent ou peuvent être reportées.  

L’article L. 56 du Code électoral prévoit qu’« en cas de deuxième tour de scrutin, il y est procédé le dimanche suivant le premier tour » et l’article L. 227 laisse plutôt penser que l’élection est un bloc unique car « les conseillers municipaux sont élus pour six ans. Lors même qu’ils ont été élus dans l’intervalle, ils sont renouvelés intégralement au mois de mars à une date fixée au moins trois mois auparavant par décret pris en Conseil des ministres. Ce décret convoque en outre les électeurs ». 

Le Code électoral est clair sur le fait que le deuxième tour des élections doit en principe intervenir le dimanche suivant le premier tour. En toute orthodoxie juridique, il apparaitrait donc nécessaire qu’une loi intervienne avant le dimanche 22 mars 2020 pour repousser le second tour des élections municipales, ce qui est très certainement impossible compte tenu du délai et du contexte. En tout état de cause, une loi devrait en principe, d’une part, repousser le 2nd tour et définir une date pour la tenue de celui-ci (le 21 juin a priori) et, d’autre part, prolonger les mandats des conseillers municipaux et intercommunaux des élus concernés.  

Une loi est d’autant plus nécessaire que l’article 34 de la Constitution indique que tout ce qui touche à la libre administration des collectivités territoriales, prévue à l’article 72 de la Constitution, ressort du domaine de la loi.  

Dans sa déclaration du 16 mars 2020, le ministre de l’intérieur a mentionné la possibilité selon laquelle le projet de loi prévoirait que, dans un délai de six semaines au plus, c’est-à-dire au début du mois de mai, un rapport du conseil scientifique créé pour la gestion de la crise sanitaire du Covid-19, statuera sur la possibilité, au plan sanitaire, d’organiser les élections à un horizon de six semaines, c’est-à-dire à compter de mi-juin. 

Le gouvernement a également décidé de prendre un décret visant à abroger la convocation des électeurs pour le second tour des élections municipales, initialement prévu le 22 mars prochain (Décret n° 2020-267 du 17 mars 2020 portant report du second tour du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, initialement fixé au 22 mars 2020 par le décret n° 2019-928 du 4 septembre 2019). 

On pourrait aussi imaginer (mais ce n’est pas l’option retenue à ce stade), dans le cas où la situation s’aggraverait, que le gouvernement proclame l’état d’urgence (prévu par la loi n°55-385 du 3 avril 1955) pour « calamité publique », ce qui lui permettrait alors d’agir uniquement par voie de décret.  

Ce n’est que dans ces conditions que le gouvernement peut modifier le calendrier électoral. 

 

L’exemple du report du deuxième tour des élections de 1973 

La question du report des élections n’est pas une question nouvelle. En effet, un second tour peut être reporté « en cas de circonstances exceptionnelles ». Ces dispositions ont été mises en œuvre en 1973 pour justifier du report du 2nd tour des élections législatives à la Réunion car un cyclone était intervenu durant l’entre-deux tour. 

Le Conseil constitutionnel, alors saisi d’une protestation électorale par le candidat Paul Vergès, a constaté que la loi électorale ne prévoit rien en cas de cyclone et a estimé que la décision du préfet, bien qu’inévitable compte tenu des circonstances et du silence de la loi, était juridiquement irrégulière, sans toutefois avoir altéré la sincérité du scrutin (DC, 73-603/741 AN du 27 juin 1973). En effet, le Conseil constitutionnel a affirmé que législateur était seul compétent en matière électorale et qu’il pouvait ainsi modifier librement les règles antérieures, sous réserve de ne pas porter atteinte à des règles ou principes de valeur constitutionnelle. La notion de « périodicité raisonnable » a été dégagée par le conseil (DC, 90-280 DC du 6 décembre 1990, §16) où il est considéré que « les électeurs doivent être appelés à exercer selon une périodicité raisonnable leur droit de suffrage ». Ce principe peut être entendu de deux manières. Selon une première interprétation, un délai rigoureusement similaire séparant des consultations identiques doit être observé, les élections municipales générales étant par exemple toujours séparées de six ans comme semble l’exiger l’article L. 227 du Code des communes. Mais il peut aussi signifier, de façon plus souple, que l’intervalle séparant deux consultations de même nature ne soit pas démesurément long.  

Quoi qu’il en soit, le Conseil considère depuis ces décisions que le législateur peut porter une atteinte à cette périodicité lorsqu’elle a un caractère exceptionnel et transitoire. Le législateur doit adapter le régime électoral des assemblées locales à certains besoins, mais, il ne faudrait cependant pas que la succession des lois fasse en sorte que ce caractère « transitoire » s’estompe trop fortement.  

 

Dans le cas actuel, il s’agit d’une situation inédite et exceptionnelle. En l’espèce, il serait question de reporter au minimum les élections de 12 semaines. Alors, qu’en principe, ce report pourrait soulever certaines difficultés dans la mesure où le délai de report est élevé et que face à l’incertitude quant à l’évolution de la situation, il est susceptible d’être rallongé, certaines élections locales ont été néanmoins reportées de plus d’un an face à des situations présentant un caractère bien moins exceptionnel.   

  

2 -Les conséquences d’un report du second tour des élections sur le 1er tour des municipales  

Les conséquences du report du 1er tour 

Le décret du 17 mars 2020 décide du report du second tour des élections municipales.  

Or, d’après un certain nombre de constitutionnalistes, l’élection municipale forme un tout indissociable de deux tours (si besoin), séparés d’une semaine. Dans cette logique, le report du second tour devrait, selon eux, a minima, entrainer l’annulation partielle des opérations électorales du 1er tour, seules les élections acquises en un tour pouvant être validées. 

Dans l’allocution du 16 mars 2020, le président mentionnait le fait que près de 30 000 communes en France auraient déjà élu les membres du conseil municipal dès le premier tour des élections. En cohérence, le décret du 17 mars mentionne que, dans 4 922 communes, un deuxième tour est nécessaire. 

Le pouvoir exécutif, dans le souci de respecter au mieux l’expression démocratique, a pris la décision de ne pas procéder à l’annulation des résultats du premier tour, y compris pour les élections non encore acquises, avec toutes les conséquences sur les possibilités de maintien et de fusion au second tour que cela entraine. 

Si l’on fait abstraction des débats doctrinaux sur la validité juridique de ce procédé (en l’absence de tout texte envisageant clairement la question), il n’en reste pas moins que des questions très concrètes vont se poser. 

 

Les conséquences pour les candidats et conseils en place 

Premièrement, la date de dépôt des candidatures du deuxième tour doit en principe intervenir le mardi précédant le dimanche du deuxième tour, au plus tard à 18 heures. Le décret du 17 mars n’abordant pas ce point, la loi devra définir ce qu’il en est pour le second tour, qui devrait se tenir (d’après les premières annonces) le 21 juin. 

Deuxièmement, la loi devra prévoir une suspension de la campagne officielle jusqu’à l’amorce du second tour, et ce d’autant que l’obligation de confinement de la population rend toute action de propagande totalement vaine. Dans cette attente, il faut inévitablement considérer que les restrictions pesant sur la communication institutionnelle en période préélectorale continuent à s’appliquer dans les communes concernées, jusqu’au second tour prévu au mois de juin. 

Troisièmement, en principe, les conseillers municipaux cessent leur mandat au moment du scrutin, à l’exception des maire et adjoints, qui conservent leurs fonctions jusqu’à l’élection du nouveau maire lors du conseil municipal d’installation. Il résulte d’un principe traditionnel du droit public consacré en 1952 par la jurisprudence que l’autorité désinvestie restée provisoirement en fonction est en charge de l’expédition des seules affaires courantes (CE, 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, n° 86015). Ce principe a été posé afin d’éviter que des décisions importantes soient prises durant cette période transitoire par l’équipe sortante. En revanche, la continuité du service public rend nécessaire la gestion habituelle et courante de l’administration par les équipes évincées, ceci afin d’éviter de tomber dans un immobilisme complet jusqu’à l’élection du nouveau conseil. Il est particulièrement inconfortable de maintenir ce régime de pouvoirs limités à la gestion des affaires courantes sur une période aussi longue, dont il n’existe aucun précédent. Toutefois, là encore, compte tenu des circonstances exceptionnelles, les communes ne devraient pas se trouver dans une situation très différente des autres collectivités, qui verront leurs projets immanquablement gelés durant cette période. 

 

La prolongation des mandats des élus en place 

Reporter la date de l’élection conduit indirectement le législateur à allonger la durée du mandat des conseillers municipaux élus en mars 2014, et à raccourcir celle des conseillers municipaux à élire. Partant, les mandats des élus locaux alors que ceux-ci ont été désignés par les électeurs pour une durée, fixée au moment de l’élection, voient la durée de leur mandat modifiée en cours de mandat.  

Si cela peut paraitre étonnant, il faut néanmoins observer que des précédents de prolongation de mandats locaux de plusieurs mois existent, y compris dans une époque récente (on songera notamment aux dernières élections départementales, finalement tenues en mars 2015, soit un an après le terme normal du mandat de la moitié des conseillers généraux, à la suite de la réforme du mode de scrutin). 

Enfin, la loi devra régler l’épineuse question de la composition des conseils communautaires, qui pourront, dans cette période transitoire, rassembler à la fois des élus nouvellement élus au premier tour, et des élus issus de l’ancienne mandature, qui ont en principe cessé leur mandat. Cette question fait l’objet d’une autre brève ci-après.