le 16/07/2020

Possibilité de lancer une procédure de mise en concurrence avant d’en avoir la compétence

CE, 9 juin 2020, n° 436922

Le Conseil d’Etat reconnait, dans une décision du 9 juin 2020[1], la possibilité pour une collectivité territoriale, en l’occurrence la Métropole de Nice-Côte d’Azur, non encore compétente pour ce faire, de lancer la procédure de mise en concurrence afférente à une concession de plage.

Les faits sont les suivants : par un arrêté préfectoral du 12 octobre 2007 s’achevant le 31 décembre 2019, la concession des plages naturelles de Nice avait été attribuée à la ville de Nice, à qui il revenait donc de mener une procédure de publicité et mise en concurrence pour confier ensuite l’exploitation de ces plages[2].

Au début de l’année 2018, la métropole Nice-côte d’Azur exprimait son intention de prendre la suite de la ville de Nice (et donc de conclure la concession portant l’aménagement, l’exploitation et l’entretien des plages naturelles avec un exploitant), en faisant jouer le droit de priorité qu’elle tire de l’article L. 2124-4 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques (CGPPP).

En effet, ces dispositions prévoient que les concessions de plage sont accordées en priorité aux métropoles et, en dehors du territoire de celles-ci, aux communes ou groupements de communes.

Toutefois, c’est sans attendre l’intervention de l’arrêté préfectoral du 26 novembre 2019 actant de ce changement de compétence que la Métropole Nice-côte d’Azur a, dès juin 2018, lancé la procédure de passation de renouvellement de la (sous) concession des plages naturelles.

C’est dans ce contexte que des candidats évincés de cette procédure, à savoir les sociétés Les Voiliers, Lido Plage et Sporting Plage, ont demandé au Tribunal administratif de Nice d’annuler cette consultation. Au soutien de ce recours, les sociétés susvisées estiment, d’une part, que la procédure serait, en ces circonstances, conduite par une autorité incompétente et soulèvent, d’autre part, divers manquements tenant notamment à la pondération des critères et des sous critères, au périmètre de la concession ou encore à la procédure de négociation.

Le Tribunal administratif ayant donné gain de cause à ces candidats évincés en annulant la procédure litigieuse, la Métropole s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat, lequel a rendu sa décision par l’arrêt du 9 juin 2020 ici commenté.

En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle, en suivant les conclusions de Madame Mireille Le Corre, Rapporteure publique sous cette décision, qu’il n’appartient pas au juge des référés de contrôler si, au regard de l’objet du contrat dont la passation est engagée, la personne publique, est à la date où elle signe le contrat, compétente à cette fin[3]. A ce titre, la Rapporteure publique précise que « cette solution est directement tirée de ce que les pouvoirs du juge du référé précontractuel cessent une fois le contrat conclu, de façon tautologique ».

En deuxième lieu, et c’est là le cœur de cet arrêt, la Haute juridiction considère que la circonstance selon laquelle la procédure de passation est engagée et conduite par une personne publique qui n’est pas encore compétente pour le signer, n’est pas de nature à rendre ladite procédure irrégulière. Ainsi, une personne publique peut valablement lancer une consultation sans être encore compétente pour ce faire.

Toutefois, le Conseil d’Etat, en suivant ici encore les conclusions de Madame la Rapporteure publique, conditionne cette possibilité :

  • d’une part, et de façon assez évidente, la signature du contrat ne peut quant à elle intervenir que lorsque la compétence est effectivement transférée à la personne publique signataire[4];

  • d’autre part, cette anticipation ne peut être opérée que si la collectivité a effectivement la perspective de détenir la compétence concernée à la date de la signature du contrat.

 

En troisième lieu, le Conseil d’Etat se prononce sur les autres moyens soulevés par les candidats évincés. Si tous ne méritent pas d’être présentés, il ressort pour l’essentiel de ces derniers les éléments suivants :

  • L’autorité concédante est seulement tenue, au regard des dispositions du décret du 1er février 2016[5] applicables au contrat en cause, d’indiquer et décrire les critères de sélection des offres ainsi que de les hiérarchiser pour les contrats supérieurs aux seuils européen. Dès lors, la Métropole est déjà allée au-delà de ses obligations en pondérant les critères de sélection des offres et le défaut de pondération des sous-critères d’appréciation n’entache pas d’irrégularité la procédure de consultation ;
  • Une délégation ne peut avoir un périmètre manifestement excessif ni réunir des services qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux ; c’est là le rappel des principes jurisprudentiels posés pour permettre le recours aux concessions dites multi-services ou multi-objets[6]. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque les prestations de restauration de plage ne sont pas manifestement sans lien avec le service concédé (la concession de plage) ;
  • Enfin, en l’absence d’éléments établissant la partialité de l’élu ayant présidé la commission de délégation de service public, la circonstance selon laquelle ledit élu a également conduit la négociation de la concession au vu de l’avis rendu par cette commission n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure, eu égard à la liberté qui entoure la phase de négociation.

 

Au total, pour les raisons ci-dessus décrites, le Conseil d’Etat annule les ordonnances prises par le Tribunal administratif de Nice en première instance.

[1] CE, 9 juin 2020, Métropole Nice-Côte d’Azur, n° 43692

[2] Les concessions de plage sont accordées par l’Etat aux métropoles, aux communes ou aux groupements de communes qui, à leur tour, concluent éventuellement, après publicité et mise en concurrence, des contrats appelés « sous-traités d’exploitation » avec des opérateurs économiques afin d’en confier l’exploitation. Voir en ce sens l’article L. 2124-4 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques.

[3] Ce rappel est notamment issu de l’arrêt CE, 6 juin 1999, S.A. DEMATHIEU ET BARD,  n° 198993

[4] CE, 19 mai 2000, Commune de Cendre, n° 208543

[5] Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concessions

[6] Conseil d’État, 21 septembre 2016, Communauté urbaine du Grand Dijon et société Kéolis, n° 399656