Dans une décision en date du 5 mai 2025, le Conseil d’Etat a jugé qu’il n’y avait pas urgence à suspendre l’exécution de deux arrêtés du 7 octobre 2024 par lesquels le Préfet de la Seine-Maritime a mis en demeure la société Bolloré Logistics et sa filiale, la société Blue Solutions, de faire procéder au retrait des déchets de batteries usagées issues de l’incendie, le 16 janvier 2023, d’un entrepôt à Grand-Couronne (Seine-Maritime) et de participer solidairement à l’élimination de la pollution au lithium des eaux souterraines au droit de cet entrepôt.
En l’espèce, le 16 janvier 2023, un incendie est survenu dans un entrepôt relevant, en tant qu’installation de stockage de produits et de matériaux combustibles, de la rubrique n° 1510 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), dont la société Highway France Logistics 8 était propriétaire et exploitante.
Sur le fondement de la police des ICPE, le préfet a, par plusieurs arrêtés, prescrit diverses mesures d’urgence à la société Highway France Logistics 8. En outre, par un arrêté du 28 juillet 2023, il a prescrit à cette société des mesures tendant notamment à la gestion des déblais issus de l’incendie ainsi qu’à la gestion et au traitement de la pollution des eaux souterraines, notamment la mise en place d’une barrière hydraulique.
Il a été ultérieurement établi que l’incendie a touché la cellule 1 de l’entrepôt, où étaient entreposées 892 tonnes de batteries au lithium usagées, produites par Blue Solutions et stockées par Bolloré Logistics. Au titre de la police des déchets, en application notamment de l’article L. 541-2 du Code de l’environnement, le préfet a, par deux arrêtés du 7 octobre 2024, mis en demeure la société Bolloré Logistics et la société Blue Solutions, en tant que producteur ou détenteur des déchets, de faire procéder ou de participer solidairement au retrait des déchets issus de l’incendie de ces batteries usagées et d’éliminer la pollution des eaux souterraines au lithium au droit du site.
Par deux requêtes distinctes, la société Bolloré Logistics d’une part, et la société Blue Solutions, d’autre part, avaient demandé au Juge des référés du Tribunal administratif de Rouen de suspendre, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, l’exécution des arrêtés du 7 octobre 2024.
Le 5 décembre 2024, le Juge des référés du Tribunal administratif de Rouen a, par deux ordonnances, fait droit à ces demandes.
Par deux pourvois, joints par le Conseil d’Etat, la ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche a demandé au Conseil d’Etat d’annuler ces ordonnances.
En premier lieu, le Conseil d’Etat a annulé les ordonnances du juge des référés en raison de plusieurs erreurs de droit commises quant à la caractérisation de l’urgence à suspendre les arrêtés litigieux.
Au contraire de ce que le juge des référés a retenu, le Conseil d’État a considéré :
- Sur l’évaluation des coûts, qu’il était erroné de retenir l’urgence sans mise en perspective avec les capacités financières des entreprises concernées.
- Sur le rôle de la société Highway Logistics, que l’arrêté litigieux étant pris au titre de la police des déchets, le juge ne pouvait se fonder sur l’existence d’obligations parallèles prises par cette société au titre des ICPE pour écarter l’urgence.
- Sur l’absence de normes sur le lithium, que l’absence de norme réglementaire ne privait pas l’autorité préfectorale de la possibilité d’agir en présence d’un risque avéré pour l’environnement et la santé, caractérisé ici par une pollution au lithium atteignant 20 000 µg/l, bien au-delà des seuils de référence établis par l’INERIS.
En deuxième lieu, le Conseil d’Etat a décidé de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée et estimé que l’absence de condition d’urgence suffisait à rejeter les demandes de suspension. Selon lui :
- Il n’est pas établi que les coûts résultant, pour les sociétés, de la mise en œuvre des arrêtés seraient disproportionnés au regard de leurs capacités financières respectives et constitueraient une charge qu’elles ne seraient pas en mesure d’assumer. En outre, le risque pénal et le préjudice d’image invoqués par les sociétés ne suffisent pas à caractériser l’urgence à suspendre l’exécution des arrêtés ;
- L’urgence à mettre en œuvre les mesures prescrites aux sociétés par les arrêtés du 7 octobre 2024 était en l’espèce caractérisée au regard des teneurs en lithium qui ont été constatées dans les eaux souterraines au droit du site et afin de prévenir les risques d’atteinte à l’environnement et à la santé des populations.
Cette décision du Conseil d’État apporte plusieurs clarifications importantes :
- Elle réaffirme la compétence du préfet pour prendre des mesures au titre de la police des déchets lorsque le site sur lequel les déchets sont entreposés est une ICPE.
- Elle insiste sur la nécessité d’une appréciation rigoureuse de l’urgence, qui ne saurait reposer sur des considérations abstraites ou déconnectées de la capacité réelle des entreprises.
- Elle reconnaît la légitimité d’une action préfectorale en l’absence de normes de qualité environnementale, dès lors qu’un risque avéré pour l’environnement ou la santé est établi.