Dans une décision en date du 5 juin 2025, le Conseil d’État confirme l’interdiction nationale de trois substances néonicotinoïdes et rejette le recours introduit par le syndicat Phyteis en faveur de l’abrogation de leur interdiction.
Par un décret du 16 décembre 2020, la France a interdit l’utilisation de trois substances actives : l’acétamipride, le sulfoxaflor et la flupyradifurone, en application de l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime en raison de leur dangerosité pour la santé et l’environnement, notamment pour les abeilles.
En juin 2023, le syndicat Phyteis (ex-UIPP) a saisi la Première ministre d’une demande d’abrogation du décret, estimant que des éléments nouveaux (avis scientifiques et décisions européennes) justifiaient son abrogation. Face au refus implicite de l’administration, le syndicat a saisi le Conseil d’État pour obtenir l’annulation de cette décision de rejet.
Il convient de noter que le Conseil d’Etat, a précédemment rejeté les recours présentés par l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) et la société Bayer SAS contre ce décret dans une décision en date du 15 novembre 2022 n° 449776, 449786.
En premier lieu, dans la décision commentée, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le respect de la procédure fondée sur l’article 71 du règlement (CE) n° 1107/2009 par laquelle un Etat membre peut informer la Commission européenne de la nécessité d’adopter des mesures visant à interdire l’utilisation de certains produits ou certaines substances et, en l’absence de telles mesures, pendre lui-même les mesures conservatoires au niveau national.
Le Conseil d’Etat considère que la procédure d’information de la Commission et des autres États membres ayant été correctement suivie, aucun manquement procédural ne peut être reproché aux autorités françaises.
En deuxième lieu, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le moyen avancé par le requérant tiré des évolutions scientifiques et règlementaires, justifiant l’abrogation du décret attaqué.
Le Conseil d’État a analysé les éléments nouveaux invoqués pour chaque substance :
- S’agissant du Sulfoxaflor :
La haute juridiction rappelle que, conformément à l’article 71 du règlement (CE) n° 1107/2009, un État membre peut adopter des mesures conservatoires nationales provisoires lorsqu’il considère qu’un risque grave pour la santé ou l’environnement justifie l’interdiction de certaines substances. Ces mesures peuvent être maintenues jusqu’à l’adoption de mesures communautaires et leur légalité peut être examinée par le juge national.
Ici, la France ayant informé la Commission et celle-ci n’ayant pas pris de mesures contraires depuis, le Conseil d’État estime que la France était en droit de maintenir l’interdiction du Sulfoxaflor.
Ainsi, bien que la Commission européenne ait restreint l’usage de cette substance aux serres permanentes en 2022, cette décision repose sur l’article 21 du règlement (CE) n° 1107/2009, relatif au réexamen de l’approbation d’une substance active, et non sur une procédure d’urgence au sens de l’article 71 du règlement. Elle ne neutralise donc pas la mesure française dès lors que seules les mesures arrêtées par la Commission en application du paragraphe 2 de l’article 71 précité sont susceptibles d’exclure la possibilité, pour l’Etat membre concerné, d’adopter des mesures d’urgence.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat a jugé que le maintien de l’interdiction n’est pas illégal, le risque pour les pollinisateurs restant avéré. La circonstance que l’usage du sulfoxaflor reste autorisé, au niveau européen, sous serres permanentes n’est, selon le juge, pas de nature, à démentir l’existence de risques. En outre, aucune autorisation de mise sur le marché n’est en vigueur à ce jour.
- S’agissant de la Flupyradifurone et de l’Acétamipride :
Le juge retient d’abord que la circonstance que la Commission européenne s’est abstenue, de solliciter l’EFSA puis a engagé un réexamen de l’approbation de ces deux substances actives sans pour autant remettre en cause jusqu’ici leur approbation est sans incidence sur la légalité du décret du 16 décembre 2020. Il en va de même du fait qu’aucun des Etats membres présents ne s’est prononcé, s’agissant de ces substances, en faveur de l’adoption de mesures. Ces éléments ne caractérisent pas plus l’erreur manifeste d’appréciation, de même le fait qu’aucune semence n’est susceptible d’être enrobée avec des produits contenant cette substance, en l’absence d’autorisation de mise sur le marché de ces substances à ce jour.
Le Conseil d’Etat juge par ailleurs, s’agissant plus spécifiquement de la Flupyradifurone que l’avis scientifique de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de 2022, dont se prévaut le requérant, ainsi que le rapport d’évaluation rendu en mai 2023 par la Grèce, désignée État membre rapporteur, évoquent un risque non écarté pour certaines abeilles et des données insuffisantes pour conclure à une innocuité générale. Le juge considère que ces éléments ne réfutent pas les fondements scientifiques initiaux du décret de 2020.
La haute juridiction considère encore, au sujet de l’Acétamipride que bien que l’EFSA ait estimé dans un avis de 2022, sur lequel s’appuie le requérant, qu’il existait une absence de preuve d’une augmentation du risque par rapport à l’évaluation ayant conduit au renouvellement de l’approbation de de cette substance en 2018, elle a également soulevé des doutes sérieux sur la sensibilité inter-espèces (oiseaux, abeilles).
En outre, dans un avis du 15 mai 2024, l’EFSA a recommandé de réduire la dose journalière admissible, en identifiant un risque pour la santé humaine. L’autorité a également souligné la nécessité de données supplémentaires pour aboutir à une évaluation appropriée des dangers et risques.
Le Conseil d’État en conclut dès lors que le maintien de l’interdiction est justifié et confirme ainsi la légalité du décret attaqué.