le 11/02/2021

Passation d’un marché de substitution et résiliation du marché de fournitures en cas de défaillance du titulaire

CE, 18 décembre 2020, Société Treuils et Grues Labor, n° 433386, publié aux Tables du Recueil Lebon

Par un arrêt en date du 18 décembre 2020, le Conseil d’Etat a étendu aux marchés de fournitures sa jurisprudence relative aux marchés de substitution pour des prestations de travaux, et précisé les conséquences d’une éventuelle résiliation du marché conclu avec le titulaire initial.

Une chambre de commerce et d’industrie (CCI) avait conclu avec une société un marché pour la fourniture et la mise en service d’une grue. A la réception de la grue, intervenue avec retard, celle-ci ne fonctionnait pas. Cette situation a perduré malgré des mises en demeure. La CCI a alors informé le titulaire de sa décision de faire exécuter le marché à ses frais et risques, un premier marché ayant été conclu avec une société tierce pour une mission d’expertise technique de la grue puis un second pour des travaux de remise en état de fonctionnement. Ces marchés n’ayant pas permis la remise en service de la grue, la CCI a résilié pour faute le marché conclu avec le titulaire initial et a saisi le juge administratif aux fins d’obtenir la résolution du marché initial et l’indemnisation des préjudices nés de la mauvaise exécution des marchés (marchés de substitution compris). La condamnation du titulaire du marché initial ayant été aggravée en appel, il s’est pourvu en cassation.

D’une part, s’agissant des marchés de substitution, le Conseil d’Etat étend aux fournitures sa jurisprudence relative aux marchés de travaux (CE, Ass., 9 novembre 2016, Société Fosmax, n° 388806, publié au Recueil Lebon), en jugeant que le pouvoir détenu par l’acheteur public de conclure des marchés de substitution avec des entreprises tierces aux frais et risques du cocontractant, après mise en demeure préalable de réaliser les prestations conformément aux stipulations contractuelles, résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs et présente le caractère d’une règle d’ordre public. Ce pouvoir ne saurait être conditionné par des clauses contractuelles ou une résiliation préalable.

Si la passation des marchés de substitution peut ne porter que sur une partie du contrat initial, le Conseil d’Etat précise toutefois qu’elle suppose l’inertie, les manquements ou la mauvaise foi du cocontractant, ce dont on peut déduire qu’un manquement isolé ne la justifie pas.

Par ailleurs, la Haute juridiction rappelle que si le titulaire initial peut contester la conclusion des marchés de substitution et suivre les opérations exécutées par les titulaires de ces marchés, sans cependant préciser les modalités ou l’étendue de cette faculté, celui-ci ne peut se libérer de la charge des marchés même s’ils n’ont pas permis la réalisation des prestations attendues. Plus encore, le titulaire initial doit réparer l’intégralité du préjudice subi par l’administration, lié aux frais exposés pour le marché initial et les marchés de substitution, si les défaillances graves du titulaire ont fait échec à la réalisation de l’objet du marché initial.

D’autre part, en ce qui concerne la résiliation, le Conseil d’Etat reconnaît implicitement le caractère d’ordre public du pouvoir de résiliation aux torts exclusifs du titulaire du marché en cas de faute grave. Ce pouvoir existe donc en l’absence de clauses contractuelles le prévoyant, ou en présence de clauses contractuelles quelles que soient les hypothèses dans lesquelles il est prévu qu’il s’exerce.

En outre, il est précisé que la circonstance que des pénalités de retard ont été prononcées ne fait pas obstacle à la résiliation, les pénalités ne pouvant dès lors porter que sur la période antérieure à celle-ci.

En l’espèce, le Conseil d’Etat, qui connait en cassation de la qualification de faute grave (« faute d’une gravité suffisante »), juge que la livraison tardive de la grue défectueuse constitue une faute d’une gravité suffisante justifiant la conclusion des marchés de substitution et la résiliation aux torts exclusifs du titulaire du marché. Les sommes mises à sa charge par la Cour administrative d’appel sont ainsi justifiées.