- Fonction publique
le 11/04/2024
Claire JACQUIER
Alix LEVRERO

Pas de CDIsation tacite dans la fonction publique territoriale

CE, 26 février 2024, n° 472075

Un CDD conclu pour une durée qui conduit, en cours d’exécution du contrat, à dépasser la durée maximale d’emploi de six années, ne se transforme pas tacitement en CDI.

Sous l’empire de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, si l’autorité concédante souhaitait poursuivre la relation contractuelle avec l’agent alors même que la durée totale des CDD successifs excédait six années de service, elle ne pouvait le faire que par une décision expresse et par la voie du CDI. La méconnaissance de ces dispositions, conduisant en cours d’exécution du contrat à dépasser la durée maximale de six ans, n’entrainait pas transformation tacite du CDD en CDI (C.E, 30 septembre 2015, « Courtois », n° 374015).

L’état du droit était établi mais l’adoption et l’entrée en vigueur du Code général de la fonction publique (CGFP) ont fait ressurgir cette interrogation au sujet des agents contractuels de la fonction publique territoriale. En effet, les dispositions dudit Code prévoient, tant pour la fonction publique de l’Etat (article L. 332-4 du CGFP) que pour la fonction publique hospitalière (article L. 332-17 du CGFP) que « lorsque les services accomplis atteignent la durée de six ans avant l’échéance du contrat en cours, celui-ci est réputé être conclu à durée indéterminée ». En d’autres termes, les CDD des agents relevant de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique de l’Etat peuvent se transformer tacitement en CDI.

Mais s’agissant des agents contractuels de la fonction publique territoriale, l’article L. 332-11 du CGFP a seulement envisagé l’hypothèse d’un accord mutuel entre les parties en prévoyant que ces dernières « peuvent, d’un commun accord, conclure un nouveau contrat à durée indéterminée ». Ainsi, et contrairement aux autres fonctions publiques, le CGFP n’avait ni admis, ni interdit, la transformation du CDD, durant son exécution, en CDI. Par la décision commentée, le Conseil d’Etat est donc venu apporter une clarification bienvenue :

« Dans l’hypothèse où ces conditions d’ancienneté sont remplies par un agent territorial avant l’échéance du contrat, celui-ci ne se trouve pas tacitement transformé en contrat à durée indéterminée. Dans un tel cas, les parties ont la faculté de conclure d’un commun accord un nouveau contrat, à durée indéterminée, sans attendre cette échéance. Elles n’ont en revanche pas l’obligation de procéder à une telle transformation de la nature du contrat, ni de procéder à son renouvellement à son échéance ».

Cette décision emporte ainsi une double conséquence :

  • Durant l’exécution du contrat, le CDD d’un agent de la fonction publique territoriale ne pourra se transformer en CDI que par une décision expresse qui pourra, si les parties le souhaitent, intervenir avant l’échéance du CDD. Il n’y a donc pas de CDIsation tacite pour les agents contractuels de la fonction publique territoriale ;
  • Au terme du CDD, la collectivité n’est pas tenue de procéder à la transformation du contrat, ni de procéder à son renouvellement.

Cette décision offre un nouvel exemple du maniement précautionneux de la transformation du CDD en CDI par le Conseil d’Etat, qui refuse « avec constance d’envisager, en l’absence de texte, la requalification d’un CDD en CDI » (pour reprendre les termes du Rapporteur Public Vincent Daumas dans ses conclusions sous la décision « Courtois » précitée). Ce contrôle de la pérennisation des contrats est d’abord guidé par un principe cardinal du droit de la fonction publique selon lequel les emplois permanents ne peuvent être pourvus que par des fonctionnaires, le recours aux agents contractuels ne pouvant qu’être exceptionnel.

En outre, cette spécificité du régime applicable aux agents de la fonction publique territoriale repose sans doute sur la volonté de « préserver la libre administration des collectivités territoriales qui s’exprime y compris en matière de recrutement et de gestion du personnel » comme le suggère la Rapporteure Publique, Marie-Gabrielle MERLOZ dans ses conclusions.  Attention, il n’en demeure pas moins que l’agent pourra toujours emprunter la voie indemnitaire pour obtenir réparation des préjudices qu’il estime avoir subis lors de l’interruption de la relation contractuelle (C.E, 20 mars 2017, Benmessahel, n° 392792).