le 06/12/2016

La participation des citoyens dans l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement : panorama des décisions récentes relatives à l’article 7 de la Charte de l’environnement

La participation des citoyens à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement, fondée sur l’article 7 de la Charte environnementale, est un thème qui donne lieu à de nombreuses décisions de la part des juridictions administratives, mais également du Conseil constitutionnel. Ce sujet à l’actualité continue confirme encore son importance avec l’adoption récente de l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement.

Plus récemment encore, la décision n° 2016-595 QPC du 18 novembre 2016, rendue par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 7 de la Charte de l’environnement, témoigne une fois de plus de la récurrence de la question. Après avoir examiné plus avant la décision QPC précitée (I), nous proposons ici de reprendre les jurisprudences les plus récentes rendues sur ce fondement dans ce domaine par la juridiction administrative (II).

I/ La position du Conseil constitutionnel sur l’interprétation de l’article 7 de la Charte environnementale

A/ Rappel de décisions antérieures du Conseil constitutionnel

A de nombreuses reprises, le Conseil constitutionnel a confronté les dispositions régissant le droit de l’environnement à l’article 7 de la Charte de l’environnement qui dispose que : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

Pour examiner la constitutionnalité des dispositions qui sont soumises à son contrôle sur le fondement de l’article 7 précité, le Juge constitutionnel se prononce sur deux points :

  • en premier lieu, sur le caractère direct de l’incidence sur l’environnement des décisions concernées. Plus précisément, le Conseil constitutionnel vérifie si les décisions dont s’agit ont une incidente « directe et significative » sur l’environnement, conformément à la jurisprudence qu’il a dégagé dans sa Décision n° 2012-282 QPC du 23 novembre 2012, Association France Nature et autres, cette condition constituant un préalable indispensable à l’examen de la constitutionnalité des dispositions attaquées.

C’est ainsi que, à titre d’exemple, il a récemment affirmé que le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie et le schéma régional éolien constituaient des décisions pouvant avoir des impacts directs sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte environnementale (Décision n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014, Fédération environnement durable et autres) avant d’examiner la constitutionnalité de procédure prévue par le Code de l’environnement à la lecture de l’article 7.

Le Conseil constitutionnel a également précisé que l’article 7 de la Charte s’appliquait tant aux décisions ayant une incidence négative que celles ayant une incidence positive (Décision n° 2012-270 QPC du 27 juillet 2012, Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Finistère).

  • en second lieu, le juge constitutionnel examine les dispositions en vigueur pour déterminer si elles permettent une participation des citoyens suffisante au regard de l’exigence constitutionnelle.

C’est ainsi par exemple que le juge a sanctionné les dispositions prévoyant « que les projets de règles et prescriptions techniques applicables aux installations classées soumises à autorisation font l’objet d’une publication, éventuellement par voie électronique, avant leur transmission au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques » dès lors qu’elles ne permettaient pas « la mise en œuvre du principe de participation du public à l’élaboration des décisions publiques en cause » (Décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012, Association France Nature Environnement).

C’est suivant cette même logique que le Conseil constitutionnel s’est prononcé, le
18 novembre 2016 sur les dispositions de l’article L. 541-22 du Code de l’environnement.

B/ La position du Conseil constitutionnel dans sa décision du  18 novembre 2016

En l’espèce, le 23 août 2016, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation de la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l’article
L. 541-22 du Code de l’environnement, dans sa rédaction en vigueur avant l’ordonnance 2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverse dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des déchets. Cet article renvoyait (et renvoie toujours) à l’administration le soin de définir les conditions d’exercice de l’activité d’élimination de certaines catégories de déchets.

Après avoir confirmé que les décisions qui devaient être prises par l’administration sur le fondement de l’article L. 541-22 du Code de l’environnement, constituaient bien des décisions susceptibles de causer des nuisances à l’environnement, le juge se livre ensuite à une gymnastique intellectuelle le conduisant à reconnaître l’inconstitutionnalité des dispositions attaquées pour une période donnée seulement.

Il précise ainsi, d’abord, que l’inconstitutionnalité des dispositions ne pouvait être appréciée sur le fondement de l’article 7 de la Charte qu’à compter de l’entrée en vigueur de cette dernière, soit le 3 mars 2005.

Il constate ensuite que jusqu’à l’adoption de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (dite loi Grenelle II), aucune disposition légale ou réglementaire ne permettait au public de participer à l’élaboration des décisions en cause, de sorte que l’inconstitutionnalité des décisions s’en inférait.

En effet, pendant cette période certaines dispositions législatives prévoyaient une information du public « sur les effets de l’environnement et la santé publique des opérations de production et d’élimination des déchets » ainsi que « sur les mesures destinées à en prévenir ou à en compenser les effets préjudiciables » (article L. 541-1 dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 18 septembre 2000), sans toutefois porter sur les conditions d’exercice de l’activité d’élimination des déchets au sens de l’article
L. 541-22 du Code de l’environnement. Surtout les dispositions alors en vigueur n’imposaient qu’une information du public et non sa participation à l’élaboration des décisions.

Cette inconstitutionnalité disparait toutefois avec l’adoption de la loi Grenelle II qui a introduit les dispositions de l’article L. 120-1 dans le Code de l’environnement (aujourd’hui article L. 123-19-1 du Code de l’environnement) qui définit « les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement est applicable aux décisions réglementaires de l’Etat et de ses établissements publics ». Le Juge constitutionnel considère alors que ces dispositions qui « prévoient, selon le cas, soit une publication du projet de décision par la voie électronique dans des conditions permettant au public de formuler des observations, soit une publication du projet de décision avant la saisine d’un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes intéressées » suffisent à supprimer toute inconstitutionnalité de l’article L. 541-22 du Code de l’environnement.

En somme la décision du Juge est la suivante :

  • les dispositions de l’article L. 541-22 du Code de l’environnement n’étaient pas contraires à la Constitution avant le 3 mars 2005 ;
  • elles étaient en revanche inconstitutionnelles entre le 3 mars 2005 et le 12 juillet 2010 ;
  • l’inconstitutionnalité a disparu à compter de l’entrée en vigueur de l’article L. 120-1 du Code de l’environnement, dans sa version issue de la loi du 12 juillet 2010, soit le 14 juillet 2010.

Le Juge constitutionnel fait ici écho à une décision précédente à l’occasion de laquelle il avait déjà considéré que l’adoption de l’article L. 120-1 du Code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n°2012-1460 du 27 décembre 2012 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement, avait fait cesser l’inconstitutionnalité des dispositions de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement, relatif à l’établissement de listes des cours d’eau. Il a en effet considéré que l’article L. 120-1 du Code de l’environnement permettait de répondre aux exigences de l’article 7 de la Charte dans la mesure où il prévoyait des mesures de mise à disposition et de participation du public « permettant la prise en considération des observations déposées par le public et la rédaction d’une synthèse de ces observations » (Décision n° 2014-396 QPC du 23 mai 2014, France Hydro Électricité).

Aux termes de cette décision, pourront dès lors être remises en cause les décisions de l’administration adoptée sur le fondement de l’article L. 541-22 du Code de l’environnement entre le 3 mars 2005 et le 14 juillet 2010.

Il convient dès à présent de citer quelques unes des décisions récentes rendues sur le fondement de l’article 7 de la Charte de l’environnement ces derniers mois.

II/ Les décisions récentes rendues par la juridiction administrative sur le fondement de l’article 7 de la Charte de l’environnement

Le Juge administratif rend régulièrement des décisions au visa de l’article 7 de la Charte de l’environnement, soit en faisant une simple application de la jurisprudence rendue par le Conseil constitutionnel, soit pour lui-même préciser la portée de l’article précité. Ces derniers mois ont été l’occasion pour la Juridiction administrative de préciser sa position sur l’application des dispositions de la Charte, invoquées à l’occasion de procédure d’adoption de décisions dans le domaine environnemental.

A/ L’application de la jurisprudence constitutionnelle par le Juge administratif

Ainsi, d’une part, le juge administratif s’appuie directement sur les principes dégagés par le Conseil constitutionnel pour fonder ses propres décisions.

Dans le domaine des déchets, par exemple, le juge a récemment considéré que « la circonstance que le plan d’élimination des déchets n’ait pas été soumis à l’enquête publique, alors que l’objet de celle-ci portait seulement sur l’institution de servitudes d’utilité publique, ne révèle pas une méconnaissance du droit à l’information du public consacré à l’article 7 de la charte de l’environnement lequel, ainsi que l’a interprété le Conseil constitutionnel, ne concerne que les décisions susceptibles d’avoir une incidence directe et significative sur l’environnement » (CAA Bordeaux, 15 novembre 2016, Association Châtillon développement durable , n° 14BX02602).

De la même manière, la Cour administrative d’appel de Paris a notamment rappelé, il y a quelques jours, la décision n°2014-395 QPC, précitée, qui érige le schéma régional éolien (SRE) en décision publique ayant une incidence sur l’environnement, pour affirmer que ce schéma constitue une décision faisant grief susceptible de recours pour excès de pouvoir (CAA Paris, 17 novembre 2016, Association Fédération environnement durable et autres, n°15PA00160).

B/ Les compléments apportés à la jurisprudence constitutionnelle par le juge administratif

Dans certaines hypothèses, si le Juge constitutionnel trace les grandes lignes de l’application du principe de participation des citoyens à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement, le Juge administratif adopte des décisions dont l’objet est également de préciser la portée de l’article 7 de la Charte.

C’est ainsi que, récemment, la Haute juridiction administrative a, à l’occasion du référé-suspension formé contre l’ordonnance n° 2016-488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement, indiqué que « les dispositions de l’article 7 de la Charte de l’environnement ne font nullement obstacle à ce que le Gouvernement intervienne dans les matières qu’elles régissent par voie d’ordonnance dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution » (CE, 22 juin 2016, Association ATTAC, n° 400704).

Le Juge a encore précisé, un mois plus tard, que le principe de participation du public qui découle de l’article 7 de la Charte environnementale n’implique pas « une exigence de « composition équilibrée » des organismes qui interviennent en matière de consultation sur des décisions portant sur l’environnement » (CE, 27 juillet 2016, Association générations futures et autres, n° 390071).

Plus encore, il arrive au Juge administratif de décider du caractère direct de certaines décisions, qui détermine l’applicabilité de l’article 7 de la Charte. Ainsi, dernièrement, une décision de la Cour administrative d’appel de Douai exclut l’application de l’article 7 à la procédure de délimitation des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates d’origine agricole en considérant que « la délimitation des zones vulnérables n’est pas, par elle-même, susceptible d’avoir une incidence directe sur l’environnement ». On notera néanmoins que le juge ne fonde pas son analyse sur cette seule affirmation pour rejeter l’argument procédural des requérants, fondé sur l’article 7 de la Charte environnementale, mais également sur le fait qu’« aucune disposition législative ou réglementaire en vigueur à la date de la signature de l’arrêté n’impose la participation du public à la délimitation des zones vulnérables à la pollution par les nitrates d’origine agricole » et encore « qu’au demeurant, une phase de concertation locale a eu lieu du 10 novembre au 2 décembre 2012, la mise en ligne du projet de délimitation de ces zones s’accompagnant d’une adresse électronique ouverte au public souhaitant formuler des observations sur le projet » (CAA Douai, 14 octobre 2016, FNSEA, n° 15DA01439).

Clémence DU ROSTU
Avocat à la cour