le 20/04/2020

Office du juge administratif sur la communicabilité d’un document administratif contractuel sui generis

CE, 27 mars 2020, Association contre l'extension et les nuisances de l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry, n° 426623

Par un arrêt en date du 27 mars 2020, le Conseil d’Etat est venu apporter d’intéressantes précisions sur l’office du juge administratif dans le contentieux du refus d’accès aux documents administratifs.  

En l’espèce, l’association contre l’extension et les nuisances de l’aéroport Lyon-Saint-Exupéry (ACENAS) et un riverain, ont demandé au Premier ministre la communication de l’intégralité du dossier portant sur l’opération de cession par l’Etat de sa participation majoritaire au capital de la société Aéroports de Lyon.  

A la suite du silence prolongée du Premier ministre sur cette requête, les demandeurs ont saisi la CADA qui a rendu un avis favorable sur la communication des pièces demandées sous réserves d’une occultation des informations protégées par le secret industriel et commercial.  

Prenant acte de cet avis, le commissaire aux participations de l’Etat de l’Agence des Participation de l’Etat (APE) a partiellement fait droit à la demande, en transmettant, le cahier des charges de l’appel d’offres, les avis émis par la Commission des participations et transferts (CPT) sur les six offres et l’arrêté fixant les modalités de transfert au secteur privé de la participation majoritaire de l’Etat au capital de la société Aéroport de Lyon et précisant le prix par action retenu. L’APE a toutefois refusé de transmettre les offres des candidats et le contrat de vente signé, au motif qu’ils étaient entièrement couverts par le secret industriel et commercial.  

Insatisfaits par cette communication partielle de documents, les demandeurs ont saisi le Tribunal administratif de Paris aux fins d’annulation de la décision de rejet partiel de l’APE et d’injonction au Premier ministre pour obtenir la communication de toutes les pièces sollicitées.   

Néanmoins, le Tribunal administratif de Paris a confirmé la position de l’APE et a rejeté le recours, conduisant l’ACENAS à saisir le Conseil d’Etat dans le cadre d’un pourvoi en cassation.  

Pour annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris, la Haute juridiction administrative opère un raisonnement en trois temps.  

Tout d’abord, les juges du Palais-Royal précisent que les documents relatifs à une procédure de cession de titres détenus par l’Etat à un acteur privé, y compris les réponses des candidats et les documents relatifs au choix du candidat retenu constituent des documents administratifs au sens du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA).  

Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle que le juge doit apprécier concrètement si les renseignements contenus dans les documents administratifs sollicités peuvent porter atteinte ou non, au secret industriel et commercial et faire ainsi obstacle à une éventuelle communication.  

Toutefois, si lors de l’instruction, le juge ne peut déterminer avec certitude le « caractère légalement communicable ou non de ces documents ou d’apprécier les modalités de cette communication », il lui incombe d’ordonner avant dire droit la production hors contradictoire de ces éléments afin d’apprécier au préalable « l’ampleur des éléments protégés et la possibilité de communiquer le document après leur occultation » (V. en ce sens : CE, 23 juillet 2010, Office national des forêts, req. n° 321138). 

A défaut d’un examen attentif, le juge méconnait l’étendue de son office en se fondant sur une simple présomption de non-communicabilité des documents pouvant contenir des informations couvertes par le secret industriel et commercial, sans rechercher si les mentions sensibles dans les documents pouvaient ou non être occultées.  

Enfin, le Conseil d’Etat rappelle le principe selon lequel les dispositions du Code des relations entre le public et l’administration (ci-après, CRPA) consacrent « un droit à la communication des documents administratifs qui ne se confond pas avec un droit d’accès aux informations contenues dans ces documents ». En d’autres termes, l’administration ne peut fonder sa décision de refus de communication d’un document administratif, en se prévalant du fait que l’un des documents communiqués contient déjà des informations similaires.  

En revanche, l’administration peut opposer un refus de communication soit lorsque les mentions protégées sont indivisibles avec le reste du document (art. L. 311-7 du CRPA), soit lorsque la demande de communication présente un caractère abusif (art. L. 311-2 du CRPA).  

En conclusion, cet arrêt a le mérite de préciser d’une part, les contours de l’office du juge administratif dans l’appréciation de la communicabilité d’un document administratif même lorsque son contenu n’est pas défini par un texte, et d’autre part, de rappeler à l’administration son devoir de conciliation entre le droit à la transparence des données publiques et la protection du secret industriel et commercial (renommé depuis peu le secret des affaires).