le 23/11/2017

Obligations alimentaires : les CCAS désormais recevables à agir sur le fondement de l’enrichissement sans cause

Le 19 janvier dernier, la 7ème Chambre de la Cour d’appel de Douai devait se prononcer sur la recevabilité d’une action d’un Centre Communal d’Action Sociale (ci-après « CCAS ») fondée sur l’enrichissement sans cause.

En l’espèce, une personne âgée était admise de 2004 à 2012 dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, géré par un CCAS.

Cette dernière n’avait pas les capacités financières de régler ses frais d’hébergement, ses ressources mensuelles nettes étant inférieures au montant mensuel des frais de séjour.

Une demande d’aide sociale avait alors été déposée, laquelle avait été refusée en raison du fait que ces frais pouvaient être pris en charge par ses enfants en leur qualité de coobligés alimentaires.

En effet, aux termes de l’article 205 du Code civil :

 « les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ».

Le CCAS avaient donc avancé les frais d’hébergement puis avaient sollicité leur remboursement par les enfants de la personne hébergée.

Toutefois, malgré les nombreuses diligences accomplies pour recouvrer sa créance, aucun des sept enfants n’avait procédé au paiement des sommes dues par leur mère au Département.

Le CCAS, avait donc été contraint de saisir le Tribunal de grande instance de Lille aux fins de solliciter la condamnation des sept enfants, en tant que coobligés alimentaires, au paiement des sommes dues.

Cependant, une difficulté s’était posée d’emblée : sur quel fondement le CCAS pouvait-il agir auprès des obligés alimentaires pour récupérer sa créance ?

En effet, l’action résultant des dispositions de l’article L.132-7 du Code de la famille et de l’aide sociale ne lui était pas ouverte, celle-ci étant réservée au représentant de l’Etat et aux Présidents des Conseils Départementaux.

De la même manière, l’action prévue à l’article L. 6145-11 du Code de la santé publique ne lui était pas non plus ouverte, celle-ci étant réservée aux établissements publics de santé, que ne constitue pas le CCAS, qui est défini selon l’article L.123-6 du Code l’action sociale et des familles comme un établissement public administratif communal ou intercommunal.

Aucune action propre n’était donc ouverte au CCAS. Dès lors, ce dernier n’avait d’autre possibilité que d’agir sur le fondement subsidiaire de l’enrichissement sans cause, action ne pouvant être introduite qu’à défaut de toute autre action ouverte, ce qui était le cas en l’espèce. 

Par un jugement du 13 novembre 2015, le Tribunal de grande instance de Lille avait pourtant débouté le CCAS, considérant que ce dernier n’était pas recevable à agir sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

Par arrêt du 19 janvier 2017, la Cour d’appel de Douai a infirmé la décision de première instance et donné raison au CCAS.

Déclarant l’action du CCAS recevable et reconnaissant qu’il existait bien en l’espèce un enrichissement des enfants de l’hébergée et un appauvrissement corrélatif du CCAS, la Cour d’appel de Douai a décidé d’enjoindre à tous les coobligés alimentaires de verser aux débats les justificatifs complets de leur situation financière et de surseoir à statuer dans l’attente de la production de ces pièces.

Cet arrêt constitue la confirmation d’un revirement de jurisprudence initié en 2014 par la même Cour d’appel de Douai.

Dans le cadre d’une affaire similaire en effet, le CCAS, avait saisi le Juge aux affaires familiales aux fins de solliciter le paiement des frais d’hébergement qu’il avait avancé auprès des coobligés alimentaires.

En première instance, le CCAS avait été débouté par le Juge, qui l’avait déclaré irrecevable sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

Par arrêt en date du 13 mars 2014, la Cour d’appel de DOUAI avait infirmé la décision rendu en première instance et validé le raisonnement du CCAS.

A l’occasion de cet arrêt, la Cour avait précisé que l’action du CCAS revêtait un caractère hybride, en ce que le fondement pour le créancier est celui de l’enrichissement sans cause, sans pour autant faire disparaître le caractère alimentaire de l’obligation pesant sur les débiteurs et, partant, les règles découlant des articles 205 et suivants du Code civil.

La recevabilité de l’action du CCAS devait donc s’apprécier en deux temps : d’une part, pour la période et les réclamées antérieures à la date de l’arrêt et, d’autre part, pour la période postérieure à l’arrêt et pour les sommes susceptibles d’être dues à compter de cette date par les obligés alimentaires.

S’agissant de la 2ème période, la Cour avait déclaré le CCAS irrecevable puisque l’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne permettait pas de solliciter des contributions alimentaires pour le futur, l’enrichissement sans cause induisant la démonstration d’un appauvrissement et d’un enrichissement corrélatif déterminés. 

S’agissant de la 1ère période en revanche – celle antérieure à l’arrêt rendu – la Cour a déclaré le CCAS recevable en sa demande de paiement de la somme déterminée de près de 34.000 euros.

Il revenait donc à la Cour d’apprécier les ressources et les charges de chacun des coobligés alimentaires afin de fixer le montant de la contribution de chacun.

Or, ces derniers avaient refusé de produire les justificatifs permettant à la Cour d’apprécier leurs ressources et charges.

La Cour avait alors considéré qu’ « au vu des pièces fournies par les intimés, la Cour n’est pas en mesure de fixer la somme due au CCAS par chacun des coobligés alimentaires. »

Ce faisant, la Cour avait sursis à statuer sur les autres chefs de demandes et ordonné la réouverture des débats et le renvoi de l’affaire pour production par les intimés des justificatifs nécessaires.

Après production desdites pièces, la Cour avait de nouveau statué par arrêt en date du 23 octobre 2014 et condamné chaque coobligé alimentaire à verser au CCAS une indemnité déterminée selon ses ressources.

C’est le même raisonnement qu’a suivi la Cour d’appel de Douai dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 janvier 2017.

En effet, là encore, le CCAS s’était heurté à un refus des intimés de produire les justificatifs nécessaires pour évaluer leurs capacités contributives, malgré la délivrance d’une sommation de communiquer.

Dans l’arrêt du 19 janvier 2017, la Cour a donc, avant dire droit au fond, enjoint à tous les intimés de verser leurs justificatifs et sursis à statuer sur les autres chefs de demandes dans l’attente de la production de ces pièces.

L’affaire a ensuite été plaidée sur la contribution alimentaire des coobligés alimentaires  le 3 octobre dernier et est en cours de délibéré.

L’arrêt du 13 mars 2014, fort heureux pour le CCAS, constituait les prémisses d’un revirement de jurisprudence, mais allait-il être confirmé ? Rien n’était moins sûr.

C’est désormais chose faite avec l’arrêt du 19 janvier 2017. La Cour d’appel de Douai a confirmé sa position de 2014 et ainsi couvert le « vide juridique » auquel était confronté le CCAS en matière de recouvrement de frais d’hébergement auprès des obligés alimentaires.

Dès lors, les CCAS peuvent désormais agir sur le fondement de l’enrichissement sans cause pour recouvrer leur créance résultant de frais d’hébergement auprès des obligés alimentaires.

Nadia TAILLEBOIS ZAIGER – Avocat

Claire-Marie DUBOIS-SPAENLE – Avocat Associée