le 29/08/2017

Un nouveau recours en résiliation du contrat au bénéfice des tiers

(CE, 30 juin 2017, SMPAT, n° 398445)

Par sa décision d’assemblée « Tarn-et-Garonne » (CE, ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994) le Conseil d’Etat avait fait évoluer le contentieux des contrats administratifs en ouvrant aux tiers au contrat la possibilité de contester directement la validité d’un contrat administratif devant le Juge du contrat.

Toutefois, cette décision n’avait pas mis un terme au contentieux en excès de pouvoir contre certains actes détachables du contrat puisque les tiers conservaient la possibilité de demander l’annulation les actes détachables tenant à l’exécution du contrat administratif et notamment le refus de résilier le contrat (CE, 24 avril 1964, SA Livraisons industrielles et commerciales). Le Conseil d’Etat opère un revirement de cette ancienne jurisprudence par une décision de section du 30 juin 2017 (CE, 30 juin 2017, SMPAT, n° 398445) qui transforme l’action en recours pour excès de pouvoir contre le refus de résilier un contrat en un recours de plein contentieux, et aligne ainsi ce recours sur sa jurisprudence « Tarn-et-Garonne » précitée.

En l’espèce, le syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (ci-après, le « SMPAT ») avait conclu, le 29 novembre 2006, une convention de délégation de service public avec la société Louis Dreyfus Armateurs SAS pour l’exploitation d’une liaison maritime entre Dieppe et Newhaven. Les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group, qui exploitent le tunnel sous la Manche, ont demandé au SMPAT, par lettre du 19 novembre 2010, de prononcer la résiliation de ce contrat. Le syndicat ne leur ayant pas répondu, une décision implicite de refus est née, permettant de lier le contentieux.

Ces deux sociétés ont alors saisi le Tribunal administratif de Rouen d’une demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision. La juridiction a rejeté leur demande par un jugement du 16 juillet 2013. En appel, en revanche, la Cour administrative d’appel de Douai a jugé que le contrat devait être qualifié de marché public, a annulé ce jugement ainsi que la décision litigieuse, et enjoint le SMPAT de résilier le contrat dans un délai de six mois suivant la notification de l’arrêt. Le syndicat s’est pourvu en cassation contre cet arrêt. C’est à cette occasion que le Conseil d’État a fait évoluer sa jurisprudence.

Dans le deuxième considérant de sa décision, le Conseil d’Etat conclut que « qu’un tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat ». Il précise également que « s’agissant d’un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’État dans le département ».

Ce faisant, le Conseil d’Etat autorise un tiers (notamment) à demander au Juge du contrat la résiliation de la convention dont il est saisi.

Dans le troisième considérant de sa décision, le Conseil d’Etat précise les moyens susceptibles d’être invoqués par les requérants et leur condition de recevabilité.

S’agissant des conditions de recevabilité, le Conseil d’Etat précise que « les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu’ils le sont par le représentant de l’Etat dans le département ou par les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut ». Cette nouvelle exigence posée en matière d’intérêt à agir est la même que le tiers agisse contre le contrat, contre un acte détachable de la passation, ou contre une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat.

S’agissant des moyens invocables, le Conseil d’Etat décide que « les tiers ne peuvent utilement soulever, à l’appui de leurs conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office ou encore de ce que la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général ; qu’à cet égard, les requérants peuvent se prévaloir d’inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général ; qu’en revanche, ils ne peuvent se prévaloir d’aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise ». Le Conseil d’Etat exclut donc les moyens liés à la procédure de passation du contrat ou ceux relatifs aux conditions de forme du refus de la résiliation.

Enfin, le Conseil d’Etat indique l’office du Juge saisi d’un tel recours en jugeant que « saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution d’un contrat administratif, il appartient au juge du contrat d’apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu’il y fasse droit et d’ordonner après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé ». A l’instar de l’office du Juge saisi d’un recours « Tarn-et-Garonne », le juge saisi d’un recours de plein contentieux contre une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat devra procéder à une mise en balance des irrégularités qui entachent le contrat administratif litigieux et l’intérêt général qui pourrait commander la poursuite de son exécution.

En l’espèce, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai au motif qu’elle a commis une erreur de droit en accueillant la demande des sociétés « sans avoir recherché si la poursuite de l’exécution de la convention litigieuse « était de nature à léser les intérêts de ces sociétés de façon suffisamment directe et certaine ».

Jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat confirme le jugement du Tribunal (et rejette en conséquence les demandes des sociétés requérantes) en statuant, d’une part, que la qualité de concurrents évincés ne suffisait « pas à justifier qu’elles seraient susceptibles d’être lésées dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l’exécution du contrat conclu le 29 novembre 2006 pour être recevables à demander au juge du contrat qu’il soit mis fin à l’exécution de celui-ci » et, d’autre part et au surplus, que les moyens soulevés étaient inopérants dès lors qu’ils étaient relatifs à des illégalités commises lors de la procédure de passation du contrat.

Cette décision marque une étape importante dans la « recomposition des recours en matière contractuelle » (pour reprendre les termes du rapporteur public Gilles Pellissier) sans pour autant l’achever puisqu’il ne traite pas de l’ensemble des recours exercés par les tiers contre des décisions prises au cours de l’exécution du contrat.