le 12/05/2017

La nécessité de suivre une procédure disciplinaire pour sanctionner un agent dont le casier judiciaire comporte des mentions incompatibles avec l’exercice de ses fonctions

Le Conseil d’Etat est récemment venu préciser sa jurisprudence qui, pour être constante, n’en était pas moins méconnue des employeurs publics.

En effet, il est traditionnellement affirmé que lorsque l’employeur public a connaissance de mentions portées au bulletin n° 2 du casier judiciaire d’un agent qu’il estime être incompatibles avec l’exercice de ses fonctions, il se trouve quasiment en situation de compétence liée pour le révoquer, dès lors qu’il a saisi précédemment le conseil de discipline.

La jurisprudence est dorénavant fixée, depuis un arrêt du Conseil d’Etat rendu le 5 décembre 2016 en section réunies et mentionné aux tables du recueil Lebon (n° 380763, AJFP 2017 p. 111), et impose l’entière application du droit disciplinaire.

Pour rappel, l’article 5 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose que :

« Sous réserve des dispositions de l’article 5 bis, nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire :

[…] 3° Le cas échéant, si les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire sont incompatibles avec l’exercice des fonctions ».

Sur le fondement de ce texte, l’autorité territoriale peut refuser le recrutement d’un agent en portant une appréciation sur la compatibilité des mentions au bulletin n° 2 du casier judiciaire avec les fonctions (CE  10 juin 1983, M. Raoult, n° 34832).

La simple appréciation portée par l’administration sur la compatibilité entre la mention au casier et les fonctions appelées à être exercées suffit donc à exclure a priori un candidat à la fonction publique.

La formulation de l’article 5 du statut général, dépourvue de toute considération temporelle, pouvait laisser penser que l’incompatibilité des mentions au casier avec les fonctions exercées fondait à tout moment l’exclusion systématique de la fonction publique. Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille a d’ailleurs explicitement énoncé que les dispositions de l’article 5 « régissent non seulement l’entrée d’un agent dans la fonction publique, mais également les conditions de son maintien » (CAA Marseille, 5 juin 2012, n° 10MA02955).

Il en va d’ailleurs ainsi de la condition de nationalité également énoncée à l’article 5 : l’absence de nationalité française, sous réserve des dispositions de l’article 5 bis relatives aux ressortissant de l’Union européenne, peut tout aussi bien fonder a priori le refus de recrutement dans la fonction publique, que la perte de cette nationalité permet a posteriori de radier des cadres de la fonction publique l’agent qui perd cette qualité (CE, 31 juillet 1996, n° 87392, publié au recueil Lebon).

De nombreuses administrations ont ainsi pu considérer qu’elles se trouvaient de la même manière liées par la présence au bulletin n° 2 du casier judiciaire de l’un de leurs agents d’une mention incompatible avec l’exercice de ses fonctions, et qu’il leur appartenait donc de radier des cadres l’intéressé (CAA Lyon, 15 mars 2016, Commune de Seyssel, n° 14LY01493).

Certes, une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, reprise par les juridictions du fond, rappelait que l’administration « ne peut légalement se fonder sur [l’incompatibilité des mentions du casier avec les fonctions] pour mettre fin aux fonctions de [l’agent] sans observer la procédure disciplinaire » (CE, 12 avril 1995, n° 136656 ; v. également TA Châlons-en-Champagne, 3 octobre 2000, n° 96-1796, AJFP 2001 p. 37 ;  TA Montpellier, 1er  juin 2010, n° 0805350, AJFP 2010 p. 270 ; CAA Lyon, 21 avril 2015, commune de Faverges, n° 14LY02359).

Mais l’observation d’une telle procédure ne signifiait pas nécessairement que la décision à laquelle elle aboutissait devait revêtir un caractère disciplinaire. Il était en effet tout à fait possible de considérer que le Conseil de discipline devait formuler un avis sur l’incompatibilité, mais pas sur la conséquence à tirer de cette incompatibilité, qui pouvait encore être considérée comme automatique et liant l’administration.

C’est d’ailleurs l’interprétation qui avait été opérée par la Cour administrative de Marseille en 2012. Celle-ci avait en effet jugé que « si l’administration, lorsqu’elle met fin aux fonctions d’un agent au vu des mentions portées sur son casier judiciaire, doit observer la procédure disciplinaire, la mesure de radiation prise par la suite ne présente pas le caractère une sanction disciplinaire » (CAA Marseille, 5 juin 2012, n° 10MA02955).

Toutefois, une telle appréciation faisait fi des dispositions de l’article 24 de la loi du 13 juillet 1983.

Pour rappel, aux termes de cet article :

« La cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte :

1° De l’admission à la retraite ;
2° De la démission régulièrement acceptée ;
3° Du licenciement ;
4° De la révocation.

La perte de la nationalité française, la déchéance des droits civiques, l’interdiction par décision de justice d’exercer un emploi public et la non-réintégration à l’issue d’une période de disponibilité produisent les mêmes effets ».

Nulle part n’y est mentionnée l’apparition d’une mention au casier judiciaire incompatible avec les fonctions exercées par l’agent. C’est d’ailleurs ce qui distingue fondamentalement cette hypothèse de la perte de la nationalité française précitée, qui figure bien, quant à elle, à l’article 24.

Aucune disposition ne fonde donc l’administration à procéder directement à la radiation des cadres d’un agent sur le fondement d’une mention dans son casier judiciaire incompatible avec ses fonctions.

C’est pour ces raisons que le Conseil d’Etat, dans son arrêt précité du 5 décembre 2016, a clairement mis fin à l’ambigüité qui pouvait persister sur la portée de ces mentions. Aux termes de cet arrêt :

« Considérant qu’il résulte [des dispositions des articles 5 et 24 de la loi du 13 juillet 1983] qu’une décision de radiation n’est prise, pour la gestion des cadres, qu’en conséquence de la cessation définitive de fonctions résultant d’une décision administrative ou juridictionnelle antérieure ; que, par suite, si l’autorité administrative peut se fonder sur les dispositions du 3° de l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983 mentionnées ci-dessus pour refuser de nommer ou titulariser un agent public, elle ne peut légalement, s’agissant d’un agent en activité, prononcer directement sa radiation des cadres au motif que les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire seraient incompatibles avec l’exercice des fonctions ; qu’à ce titre, il appartient, le cas échéant, à l’autorité administrative d’engager une procédure disciplinaire pour les faits ayant donné lieu à la condamnation pénale mentionnée au casier judiciaire de l’agent et, si cette procédure disciplinaire se conclut par une sanction mettant fin à ses fonctions de manière définitive, de prononcer sa radiation des cadres par voie de conséquence ».

Il rappelle ainsi la nature purement gestionnaire (« pour la gestion des cadres ») de la radiation des cadres, qui doit se borner à constater l’impossibilité de maintenir un agent dans les cadres de l’administration pour l’en exclure.

Pour cette raison, dans l’hypothèse où une condamnation a entraîné l’inscription sur le bulletin n° 2 de son casier judiciaire d’une mention incompatible avec ses fonctions, la radiation des cadres d’un agent ne peut en réalité se fonder que sur une décision préalable de révocation.

Or, une telle décision revêt bien évidemment le caractère d’une sanction disciplinaire. Son adoption impose donc bien sûr le respect de la procédure disciplinaire, ce qui a au demeurant, comme nous l’avons rappelé, toujours été en réalité la règle.

Mais, surtout, elle emporte deux conséquences lourdes pour les employeurs publics.

En premier lieu, elle exclut toute automaticité de la révocation du fait de mentions au casier incompatible. Conformément aux principes du droit disciplinaire, l’administration devra prononcer une sanction proportionnée aux faits qui fondent l’action disciplinaire, apprécier la nature des fonctions exercées par l’agent (CE, 26 janvier 2000, La Poste, n° 187182), ainsi que son comportement antérieur (CE, 23 avril 1997, M. Joseph X., n° 13441919), ainsi que sa manière de servir (CE, 28 juin 2002, Centre hospitalier universitaire d’Angers, n° 235171).

La Cour administrative d’appel de Lyon, a d’ailleurs considéré que c’était « à l’occasion de [la procédure disciplinaire qu’] il appartient à l’autorité compétente d’apprécier, sous le contrôle du Juge, l’incompatibilité des faits à raison desquelles l’intéressé a fait l’objet des condamnations inscrites à son bulletin n° 2 avec l’exercice des fonctions » (CAA Lyon, 15 mars 2016, Commune de Seyssel, n° 14LY01493).

L’incompatibilité n’est donc pas un impératif liant l’administration, mais un des éléments d’appréciation du niveau de sanction à infliger à l’agent.

En second lieu, le caractère de sanction de la décision implique que le Juge exercera, sur l’appréciation portée par l’administration, le plein contrôle de proportionnalité qu’il lui appartient d’exercer sur les sanctions infligées aux fonctionnaires depuis l’arrêt d’Assemblée Dahan (CE, Ass., 13 novembre 2013, Dahan, n° 347704, AJDA 2013 p. 2432 ; AJFP 2014. p. 5).

Les employeurs publics doivent donc dorénavant être particulièrement vigilants à l’égard des conséquences qu’ils tirent de l’incompatibilité des mentions du bulletin du casier judiciaire avec l’exercice des fonctions. La révocation ne peut désormais plus constituer le sort systématique réservé au fonctionnaire, et la sanction devra donc s’appuyer sur une réelle appréciation de son dossier.

Il sera ainsi dorénavant tout à fait possible d’infliger à un fonctionnaire, en raison de mentions incompatibles au casier judiciaire, par exemple une exclusion temporaire de fonction d’une durée de trois mois.

En revanche, en présence d’une interdiction d’exercer un emploi public, l’administration se trouve réellement en situation de compétence liée et n’a d’autre choix que de radier l’agent des cadres.

Encore faut il cependant que le Tribunal correctionnel n’ait pas décidé d’exclure la mention de la condamnation du B2 …

Lorène CARRERE, Associée
Vincent CADOUX, Avocat à la Cour