le 12/04/2018

Mineurs étrangers isolés : l’office du juge du référé-liberté

CE, Ordonnances du 13 mars 2018, n° 418451 et n° 418454

Dans un contexte caractérisé par l’arrivée d’un nombre important de mineurs étrangers isolés sur le territoire français – mineurs non accompagnés selon l’actuelle terminologie administrative -, ce qui a justifié d’ailleurs l’engagement d’une réflexion sur la prise en charge de ces mineurs , le Conseil d’Etat est venu utilement préciser, par deux ordonnances n° 418451 et 418454 du 13 mars 2018, l’office du juge du référé-liberté lorsqu’il est saisi de l’exécution d’une ordonnance du juge des enfants de placement d’un mineur non accompagné auprès du service départemental de l’aide sociale à l’enfance (ASE). 

Aux cas précis, M. X et M. Y étaient tous deux arrivés à Marseille au cours de l’année 2017 après avoir quitté seuls leur pays d’origine. Le Département des Bouches-du-Rhône, confronté à un afflux important de mineurs isolés sur son territoire, avait alors pris l’initiative d’ouvrir en urgence un centre d’accueil en novembre 2017 afin de leur assurer un hébergement. MM. X et Y, comme environ 60 autres mineurs, ont ainsi été pris en charge dans ce centre dès son ouverture, le 24 novembre 2017 et avant toute décision de placement judiciaire. Ils ont par la suite été confiés, en qualité de mineurs non accompagnés, aux services de l’aide sociale à l’enfance du Département par décision du juge des enfants.

Estimant que l’autorité départementale n’avait pas exécuté ces décisions du juge des enfants, les deux mineurs ont saisi le juge du référé-liberté du Tribunal administratif de Marseille de requêtes tendant, sur le fondement de l’article L 521-2 du Code de justice administrative, à ce qu’il soit enjoint au Département d’assurer leur hébergement et leur prise en charge sous astreinte. Par deux ordonnances du 5 février 2017, le juge des référés a fait droit à ces demandes.

Saisi en appel par le Département des Bouches-du-Rhône, le Conseil d’Etat a annulé les ordonnances du juge des référés du Tribunal administratif de Marseille et rejeté les conclusions présentées par MM. X et Y devant celui-ci.

Aux termes de deux ordonnances très motivées, le Conseil d’Etat a pris soin de statuer précisément sur les deux conditions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (CJA) – l’urgence et l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

En premier lieu,  le Conseil d’État a, compte tenu de la circonstance que les mineurs en cause avaient été placés dans un centre d’accueil dès le 24 novembre 2017 où ils faisaient l’objet d’un suivi par une équipe éducative, estimé que l’intervention du juge dans un délai de 48h n’était pas justifiée. Ce faisant, le Conseil d’Etat fait une application concrète de son arrêt du 27 juillet 2016 Département du Nord (n° 400055) selon lequel : 
 
« l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ».
 
Il en résulte qu’une prise en charge du mineur, notamment de son hébergement, par l’autorité départementale ne permet pas de caractériser l’urgence particulière exigée par les dispositions de l’article L. 521-2 du CJA justifiant que le juge statue dans le délai contraint de 48 h.
 
En second lieu, le Conseil d’Etat a jugé que la condition d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n’était pas remplie en relevant notamment que les mineurs étaient encadrés par des éducateurs, avaient passé des examens médicaux et bénéficié, à l’instar de tous les jeunes migrants primo-arrivants, des tests CASNAV (centre académique pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage).

La prise en charge d’urgence opérée par le Département, dès lors qu’elle s’accompagnait d’un suivi médical et éducatif, faisait donc obstacle à ce qu’une quelconque carence caractérisée dans son action soit constituée.

A cette occasion, le Conseil d’Etat a procédé à une application de sa jurisprudence précitée Département du Nord qui exige, pour que la condition d’atteinte grave et manifestement illégale soit remplie, qu’une carence caractérisée dans l’action menée par l’autorité départementale soit démontrée. Et il incombe au juge du référé-liberté d’apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l’administration disposait ainsi que de la situation du mineur intéressé, les mesures pouvant être utilement ordonnées sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA.

En l’espèce, le juge des référés a pris en compte les moyens du Département qui  faisait état de la situation particulière à laquelle il était confronté du fait de l’augmentation substantielle du nombre de mineurs non accompagnés. Il a ainsi estimé que ces

« circonstances matérielles particulières expliqu[aient] le recours au centre d’accueil temporaire».

En jugeant ainsi, le Conseil d’Etat a examiné les diligences accomplies par l’administration compte tenu des moyens dont elle disposait, conformément à sa jurisprudence.

Par conséquent, le Conseil d’Etat a censuré les ordonnances du juge des référés du Tribunal administratif de Marseille lequel s’était fondé à tort sur le droit à l’hébergement d’urgence en reprenant les termes de l’arrêt Département de l’Isère (CE, 25 août 2017, n° 413549). Dans cette affaire, le juge était saisi de la situation d’un mineur qui s’était vu opposer un refus d’accès au dispositif d’hébergement et d’évaluation du Département, dispositif distinct du placement judiciaire des mineurs décidé par le juge des enfants. Dans la mesure où le mineur ne faisait l’objet d’aucune prise en charge, le juge du référé-liberté avait constaté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l’hébergement d’urgence.

Les cas d’espèce se distinguent de cette hypothèse dès lors que MM. X et Y avaient fait l’objet d’une ordonnance de placement provisoire du juge des enfants et étaient effectivement pris en charge par les services départementaux. La question se situait donc davantage sur l’exécution de cette ordonnance de placement dans le cadre particulier de la procédure de référé-liberté.

Pour conclure, dès lors que les services départementaux de l’ASE assurent une prise en charge du mineur, malgré son caractère temporaire dans l’attente d’une réorientation vers une maison d’enfants, le juge du référé-libertés fondamentales n’a pas vocation à intervenir faute d’urgence à 48 heures et de carence caractérisée, seule constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Denis GARREAU – Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation et Margaux NGUYEN CHANH – Stagiaire .