Urbanisme, aménagement et foncier
le 12/07/2022

Lotissements : précisions sur la procédure de modification et sur l’articulation entre la division, la cession et le permis de construire

CE, 1er juin 2022, n° 443808

CE, 13 juin 2022, n° 452457

Par deux décisions récentes, respectivement en date du 1er et du 13 juin 2022, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur les règles applicables en matière de divisions foncières, en se prononçant, d’une part, sur la mise en œuvre de la procédure de modification des lotissements comprenant à la fois de maisons individuelles et de constructions détenues en copropriété et, d’autre part, sur la date à compter de laquelle les propriétaires peuvent se prévaloir des dispositions de l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme, relatives à la cristallisation des règles d’urbanisme applicables aux permis de construire sollicités dans les cinq ans suivant une autorisation de lotir.

 En premier lieu, par un arrêt en date du 1er juin 2022, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la mise en œuvre de la procédure de modification des lotissements prévue par l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme.

Dans cette affaire, par un arrêté du 15 décembre 2015, le Maire des Allues (Savoie) a modifié l’article 1er du cahier des charges d’un lotissement situé dans la station de Méribel. Par un jugement en date du 18 décembre 2018, le Tribunal administratif de Grenoble, saisi par l’une des colotis – la SCI Le Flocon – a annulé cet arrêté. La SARL Gambetta Diffusion et la SCCV Merifraisse, bénéficiaires d’un permis de construire pour la création d’un logement collectif sur un terrain situé au sein du lotissement ont fait appel de ce jugement. Par un arrêt du 7 juillet 2020, la Cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement et rejeté la demande de première instance. La SCI Le Flocon s’est alors pourvue en cassation contre cet arrêt.

Dans ce contexte, le Conseil d’Etat a rappelé qu’aux termes des dispositions de l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme, dans leur version applicable au litige :

« Lorsque la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d’un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie le demandent ou l’acceptent, l’autorité compétente peut prononcer la modification de tout ou partie des documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé. Cette modification doit être compatible avec la réglementation d’urbanisme applicable ».

Pour l’application de ces dispositions, le Conseil d’Etat a, alors, précisé que :

« 7. Pour l’application de ces dispositions, dans un cas où le lotissement se compose à la fois de maisons individuelles et de constructions détenues en copropriété, et comporte des lots affectés à d’autres usages que l’habitation, il y a lieu, d’une part, de compter pour une unité l’avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu’il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire, et d’autre part, de ne retenir pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction, qu’il s’agisse ou non de lots destinés à la construction d’habitations, à l’exclusion des surfaces des lots affectés à d’autres usages ».

Ainsi, dans un cas où le lotissement se compose à la fois de maisons individuelles et de constructions détenues en copropriété, et comporte des lots affectés à d’autres usages que l’habitation, il convient :

  • pour une unité, de compter l’avis exprimé par chaque propriétaire individuel – indépendamment du nombre des lots qu’il possède, et par chaque copropriété regardée comme un seul propriétaire ;
  • pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, de ne retenir que celles des lots destinés à la construction, qu’ils soient ou non destinés à la construction d’habitations, à l’exclusion des surfaces des lots affectés à d’autres usages.

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a, tout d’abord, constaté que la Cour avait relevé, au terme d’une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la demande de modification du cahier des charges avait recueilli l’accord des propriétaires de treize lots du lotissement ainsi que de deux lots affectés à la construction, qu’il s’agisse de constructions d’habitations ou d’autres constructions. Ainsi, la Cour n’a pas commis d’erreur de droit en retenant ces lots pour le calcul de la superficie détenue par les propriétaires du lotissement ayant approuvé la modification de son cahier des charges.

Il a ensuite considéré que la Cour s’est livrée à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation et n’a ni commis d’erreur de droit ni méconnu son office, en jugeant que la majorité requise pour la modification du cahier des charges était acquise.

Par suite, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi de la SCI Le Flocon.

 

En second lieu, par un arrêt du 13 juin 2022, le Conseil d’Etat a précisé la date à compter de laquelle les propriétaires peuvent se prévaloir des dispositions de l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme, relatives à la cristallisation des règles d’urbanisme applicables aux permis de construire sollicités dans les cinq ans suivant une autorisation de lotir.

Dans le cadre de cette seconde affaire, par un arrêté du 17 décembre 2015, rectifié le 2 mars 2016, le aire de la commune de Bormes-les-Mimosas (Var) a délivré un la société La Garriguette un permis de construire portant sur la démolition d’un studio et la réalisation d’une habitation avec piscine. Le Maire a, ensuite, délivré un nouveau permis de construire par arrêté du 12 janvier 2017, portant sur le même projet, ainsi qu’un permis modificatif délivré le 25 avril 2017. Monsieur et Madame B., voisins immédiats, ont introduit un recours pour excès de pouvoir et sollicité l’annulation de ces permis.

Par un jugement du 18 décembre 2018, le Tribunal administratif de Toulon a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l’annulation des arrêtés des 17 décembre 2015 et 2 mars 2016 et rejeté le surplus des conclusions des demandes. Par un arrêt du 11 mars 2021, la Cour administrative d’appel de Marseille a, sur l’appel de Monsieur et Madame B., annulé le permis de construire délivré le 12 janvier 2017 et le permis modificatif délivré le 25 avril 2017 en tant que le projet est affecté de trois vices relatifs à la toiture, à l’implantation et aux places de stationnement, annulé le permis de construire délivré le 17 décembre 2015 et rectifié le 2 mars 2016 en tant que le projet est affecté des deux premiers de ces vices. La Cour a imparti un délai de trois mois à la société La Garriguette pour demander la régularisation de ces différents vices, réformé le jugement en ce qu’il avait de contraire et rejeté le surplus des conclusions des requérants. Ceux-ci se sont donc pourvus en cassation contre cet arrêt en tant qu’il n’a pas entièrement fait droit à leurs conclusions.

Dans ce contexte, le Conseil d’Etat a, tout d’abord, constaté que la société pétitionnaire était fondée à soutenir que les conclusions du pourvoi dirigées contre l’arrêt du 11 mars 2021 de la Cour avaient perdu leur objet en tant que l’arrêt porte sur le permis modificatif délivré le 25 avril 2017, dès lors que le Maire avait retiré ce permis par un arrêté du 8 février 2022, devenu définitif. Il a, toutefois, indiqué que les conclusions du pourvoi relatives à l’arrêté du 12 janvier 2017, auquel l’arrêté du 25 avril 2017 ne s’était pas substitué et qui n’a pas été retiré, n’étaient pas dépourvues d’objet.

Le Conseil d’Etat s’est alors prononcé sur l’application des dispositions de l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme aux termes desquels :

« Le permis de construire ne peut être refusé ou assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivant : / 1° la date de non-opposition à cette déclaration, lorsque le lotissement a fait l’objet d’une déclaration préalable […] ».

Pour l’application de ces dispositions, le Conseil d’Etat a précisé que lorsque la cession du terrain d’assiette, emportant division foncière, n’était pas intervenue à la date du permis de construire, les pétitionnaires ne pouvaient se prévaloir des droits attachés à ladite cession, en vertu de l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme :

« 4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société La Garriguette a adressé au maire de Bormes-les-Mimosas une déclaration préalable de division de la parcelle cadastrée section AD n° 133 en deux lots, en vue de construire sur l’un d’eux, l’autre supportant une villa. Par un arrêté du 28 avril 2015, le maire de cette commune ne s’est pas opposé à cette déclaration préalable. Toutefois, ainsi que l’a relevé la cour, la société La Garriguette, qui entendait conserver la propriété de l’ensemble de la parcelle dont elle avait préalablement déclaré la division et sollicitait le permis litigieux pour son propre compte, en vue de la location saisonnière de la construction projetée, n’avait, à la date du permis de construire, pas procédé à la cession dont aurait résulté la division. Dès lors, en l’absence de tout transfert de propriété ou de jouissance, elle ne pouvait se prévaloir, à l’occasion de cette demande de permis de construire, des droits attachés, en vertu de l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme cité ci-dessus, au lotissement autorisé, dont le projet de construction ne pouvait relever. Par suite, en jugeant que la règle posée à l’article L. 442-14 s’appliquait à l’arrêté litigieux, pour en déduire que sa légalité devait être appréciée au regard des règles du plan local d’urbanisme approuvé le 28 mars 2011 et non de celles du plan approuvé le 17 décembre 2015, la cour a commis une erreur de droit ».

Autrement dit, pour qu’il y ait lotissement, il faut qu’il y ait transfert de propriété ou de jouissance et ce, avant la délivrance du permis de construire ; ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque la société Guarriguette conservait l’intégralité du terrain d’origine.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a retenu qu’en jugeant que la règle posée à l’article L. 442-14 s’appliquait à l’arrêté litigieux, pour en déduire que sa légalité devait être appréciée au regard des règles du plan local d’urbanisme en vigueur au jour de la décision de non-opposition à déclaration préalable, la Cour avait commis une erreur de droit.

Il a donc annulé l’arrêt du 11 mars 2021 de la Cour administrative d’appel de Marseille en tant qu’il rejette partiellement les conclusions de Monsieur et Madame B. dirigées contre le permis de construire délivré le 12 janvier 2017.