le 10/12/2020

Les mesures de prévention des difficultés financières des sociétés en temps de crise sanitaire (ordonnances des 27 mars, 20 mai et 25 novembre 2020 et loi ASAP du 7 décembre 2020)

Loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique

Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale

Ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19

Ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises aux conséquences de l’épidémie de covid-19

 

Au-delà des mesures qui ont été annoncées par le Gouvernement et celles prises par voie d’ordonnances pour soutenir les Entreprises durant cette crise sanitaire, il est patent, et ce depuis plusieurs années, que les entreprises sont mal informées quant aux dispositifs qui s’offrent à elles pour prévenir de futures difficultés.

En effet, aujourd’hui un panel de mesures  existe déjà pour soulager les entreprises lors de l’apparition des premières tensions des flux de trésorerie (mandat ad hoc, conciliation)

Une entreprise est en difficulté si elle  « connaît des difficultés de nature à compromettre la continuité de son activité ».

Le critère d’ouverture d’une procédure collective est l’existence d’un état de cessation des paiements, lequel se définit comme étant l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible (article L. 631-1 du Code de commerce)

Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements.

Le fait de prévenir les difficultés de l’entreprise en amont relève donc un intérêt particulier majeur.

Prévenir les difficultés de son entreprise consiste pour le dirigeant à les anticiper dès lors que des indicateurs laissent à penser que l’entreprise se dirige vers des difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.

Mais qui dit négociation des modalités de règlements de ses créances dit de s’entourer de professionnels pour lister les contrats nécessaires à la survie de son entreprise afin d’engager des négociations avec ses cocontractants pour retrouver un juste équilibre financier.

Une cartographie et une analyse financière s’imposent donc avant toute chose

Un fois ce préalable réalisé il convient de mettre par écrit les accords transactionnels trouvés. Mais il n’est pas toujours aisé en dehors d’un cadre juridique prédéterminé de gagner la confiance de ses parties prenantes et il est conseillé d’avoir recours aux procédures dites de prévention des difficultés des entreprises, savoir : Le mandat ad hoc ou la procédure de conciliation qui sont deux processus qui ne font l’objet d’aucune publicité au registre du commerce. Leur confidentialité ne nuit donc pas à la continuité des relations commerciales de l’entreprise concernée.

Afin d’élargir le champs d’application de la procédure de conciliation aux entreprises touchées par la crise sanitaire, l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 et celle du 25 novembre 2020 ont adapté les dispositions du Code de commerce relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficultés des entreprises.

 

 

Le mandat ad hoc

Son but est de rétablir la situation de l’entreprise avant la cessation des paiements.

Le mandat ad hoc permet au dirigeant d’entreprise de négocier ses dettes sous l’égide d’un mandataire ad hoc désigné par le président du Tribunal de commerce.

Les mandataires ad hoc sont souvent des administrateurs judiciaires qui justifient d’une expérience reconnue en matière de redressement d’entreprises et de négociations avec les créanciers (banques, organismes fiscaux et sociaux, principaux fournisseurs).

Lors de la désignation du mandataire, le coût de son intervention est déterminé en accord avec le chef d’entreprise.

Toute entreprise commerciale, artisanale, agricole ou libérale (personne physique ou morale), mais aussi les associations, les auto-entrepreneurs, les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL) peuvent solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc.

Précision importante, le débiteur ne doit pas se trouver en état de cessation des paiements.

S’agissant des difficultés, il peut s’agir de difficultés financières (non-respect des échéances normales de paiement des fournisseurs, multiplication des inscriptions de privilèges) ou encore de situations de blocage (litiges entre associés pouvant entraîner la paralysie de l’entreprise).

Hormis le fait que l’entreprise ne doit pas être en cessation de paiement pour avoir recours au mandat ad hoc, la procédure doit suivre un cheminement particulier.

En effet, le débiteur, ou le représentant légal de ce dernier, doit déposer une demande au greffe du tribunal de commerce s’il exerce une activité commerciale ou artisanale. Dans les autres cas, c’est le greffe du tribunal de grande instance qui se charge d’accéder à la requête.

Celle-ci doit être effectuée par écrit, et doit impérativement faire mention des raisons de la demande.

La durée de la procédure de mandat ad hoc n’est pas encadrée par la loi dans un délai fixe. Le plus souvent, le président assigne une durée renouvelable de la mission du mandataire ad hoc.

Comme dans la conciliation, l’objectif de la procédure de mandat ad hoc est le suivant : trouver un accord entre l’entreprise et ses principaux créanciers pour lui permettre de surmonter ses difficultés, tout en prenant en compte l’intérêt des créanciers. La solution se trouve donc dans une négociation dans le cadre d’un échelonnement des dettes.

En particulier, le mandat ad hoc permet de rechercher, avec l’aide du mandataire, les meilleures solutions de rétablissement de l’entreprise.

Le mandataire dresse un état de la situation de l’entreprise et traite directement avec les créanciers. Ces derniers ont le choix d’accepter de coopérer ou non. En cas d’échec des négociations, le mandataire doit le signifier auprès du tribunal l’ayant désigné. En revanche, en cas d’accord trouvé avec les créanciers, un accord officiel doit être signé par ces derniers.

Par ailleurs, il est important de souligner que durant le mandat, le dirigeant continue de gérer seul son entreprise. Aussi, il est possible de réclamer la fin de la mission du mandataire à tout moment : la demande se fait auprès du président du greffe du tribunal compétent.

Dans ce cas, une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte et met fin à l’accord négocié avec le mandataire.

La procédure du mandat ad hoc offre une certaine souplesse au dirigeant, qui peut notamment choisir de son plein gré de se faire assister par un mandataire, et qui peut mettre fin à cette procédure à tout moment, comme évoqué ci-dessus.

Aussi, la procédure se déroule en toute confidentialité. Mais, l’avantage majeur réside dans le fait que le mandat ad hoc est une solution accompagnée de grandes chances de réussite.

Ce type de procédure est confié à des experts économiques ou financiers. Ils apportent alors tout leur savoir-faire pour résoudre, le plus tôt possible, les difficultés financières auxquelles sont confrontées les entreprises qui y ont recours.

En revanche, le mandat ad hoc présente aussi des inconvénients car contrairement à la conciliation, cette procédure ne permet pas de suspendre les poursuites des créanciers n’ayant pas pris part à l’accord.

Par ailleurs, malgré l’intervention d’un expert, le juge n’a pas beaucoup de pouvoir et ne peut donc intervenir entre les créanciers et le débiteur. Il s’agit, concrètement, d’une procédure de règlement à l’amiable afin d’éviter l’aggravation d’une situation financière délicate.

 

 

La procédure de conciliation

C’est une procédure « préventive » prévue par le Code de commerce (articles L. 611-1 et suivants du Code de commerce) intervenant dans le cadre du règlement des litiges commerciaux.

La conciliation est avant tout une procédure amiable entre une entreprise et les partenaires à qui elle doit régler des créances.

Cependant, toutes les sociétés n’ont pas accès à la conciliation. Il faut justifier de difficultés financières suffisantes.

En temps normal, l’entreprise ne doit néanmoins pas être en situation de cessation des paiements. Si jamais c’est le cas, elle dispose de 45 jours après la déclaration de cessation de paiements pour entamer une procédure de conciliation.

Or l’ordonnance du 27 mars 2020 précisait que l’état de cessation des paiements est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020, et ce jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit jusqu’au 10 octobre 2020). Ainsi, les entreprises pouvaient bénéficier de la procédure de conciliation, même si elles étaient en état de cessation des paiements après le 12 mars. L’un des intérêts majeurs de cette mesure était d’éviter au débiteur s’exposer à des sanctions personnelles pour avoir déclaré tardivement l’état de cessation des paiements.

Le 25 novembre dernier une nouvelle ordonnance (n° 2020-1443) est venue ajouter que la procédure de conciliation peut être prolongée jusqu’à une durée de 10 mois pour toutes les procédures ouvertes depuis le 24 août 2020 et ce jusqu’au 31 décembre 2021.

Il convient donc d’être très vigilant et de profiter de ce délai de conciliation allongée (en période normale la conciliation ne peut pas dépasser 4 mois avec une possibilité de proroger au maximum 5 mois) et donc d’ouvrir avant la fin de l’année 2021 cette procédure qui permettra de négocier avec ses créanciers.

La conciliation doit être sollicitée par le débiteur. Une requête est à adresser pour l’ouverture de la procédure auprès du :

  • Tribunal de commerce pour les commerçants et les artisans ;
  • Tribunal judiciaire pour les autres types d’entreprises ou les associations.

 

Le détail des comptes de l’entreprise sur les 3 dernières années est alors demandé pour justifier la conciliation. Le dirigeant déclare cependant sur l’honneur ne pas avoir ouvert de procédure similaire durant les 3 derniers mois avant le dépôt de la demande auprès du tribunal. Afin de respecter les délais autorisés, il est également requis de préciser la date de début de cessation des paiements s’il y en a une.

Les conciliateurs sont souvent des administrateurs judiciaires qui justifient d’une expérience reconnue en matière de redressement d’entreprises et de négociations avec les créanciers (banques, organismes fiscaux et sociaux, principaux fournisseurs).

Dès lors que la procédure de conciliation est déclenchée, les créanciers ne pourront plus demander le redressement ou la liquidation de l’entreprise.

Comme dans le mandat ad hoc, l’objectif de la procédure de conciliation est le suivant : trouver un accord entre l’entreprise et ses principaux créanciers pour lui permettre de surmonter ses difficultés, tout en prenant en compte l’intérêt des créanciers. La solution se trouve donc dans une négociation dans le cadre d’un échelonnement des dettes.

En particulier, la conciliation permet la mise en place d’un accord (moratoire, renégociation d’emprunt, etc.) lorsque l’entreprise n’est pas en état de cessation des paiements ou ne s’y trouve pas depuis plus de 45 jours.

Le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion d’un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers et partenaires, destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise et assurer sa pérennité.

Il peut présenter des propositions en vue de la sauvegarde de l’entreprise, de la poursuite de l’activité et du maintien de l’emploi.

Il peut se voir confier la préparation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise qui pourra être mise en œuvre dans le cadre d’une éventuelle procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.

Surtout la loi Asap du 7 décembre 2020 a prolongé les mesures prises par l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 également jusqu’au 31 décembre 2021 qui permet notamment de demander au président du tribunal qui a ouvert la procédure de conciliation de :

  • Interrompre ou interdire les actions en paiement des créanciers mais également la résolution des contrats pour motifs d’impayés ;
  • Imposer un report ou un échelonnement des créances.

Et ce, pendant toute la durée de la procédure de conciliation donc durant 10 mois.

Les parties à la conciliation peuvent demander au président du tribunal de constater leur accord, ce qui permettra d’obtenir une force exécutoire. L’accord est confidentiel et seuls les signataires y sont tenus.

Le débiteur peut également demander une homologation de l’accord de conciliation au tribunal à condition :

  • qu’il ne soit pas en cessation des paiements,
  • que l’accord assure la pérennité de l’entreprise,
  • et que l’accord ne lèse pas les intérêts des créanciers non signataires.

L’homologation de l’accord de conciliation empêche ou stoppe toute poursuite judiciaire de la part de ses signataires, et lève l’interdiction éventuelle d’émettre des chèques. Une publication au BODACC est effectuée.

Les créanciers qui apportent des fonds, des biens ou des services dans le cadre de la procédure de conciliation bénéficient d’un privilège de conciliation si l’entreprise est par la suite mise en redressement ou en liquidation judiciaire.

 

En conclusion, outre les mesures mises en place par le Gouvernement pour soutenir les entreprises durant l’actuelle crise sanitaire, celles-ci ne devront pas hésiter à employer les procédures préventives prévues par le Code de commerce.

Même si la procédure est plus lourde à mettre en œuvre, la procédure de conciliation présente de meilleurs avantages que le mandat ad hoc puisque l’accord permet de suspendre les poursuites individuelles, contrairement au mandat ad hoc.

Les entreprises qui emploieront ces dispositifs auront de meilleures chances de rebondir après cette crise sans précédent, laquelle laissera certainement une trace majeure dans notre manière de construire notre économie.

Après avoir engagé et bénéficié des mesures de soutien prises par le Gouvernement, il est donc impérieux que les chefs d’entreprise se rapprochent des greffes des tribunaux de commerce afin de pouvoir mettre en œuvre ces dispositifs.

 

Par My-Kim Yang-Paya, Avocate associée, spécialiste en droit des sociétés