le 20/05/2021

Les marchés de substitution peuvent inclure des prestations portant sur la reprise des malfaçons des travaux déjà exécutés par l’entrepreneur défaillant

CE, 27 avril 2021, n° 437148

Par une décision du 27 avril 2021, le Conseil d’État se prononce sur la faculté du maître d’ouvrage d’un marché de travaux d’adjoindre des prestations portant sur la reprise des malfaçons des travaux déjà exécutés par l’entrepreneur défaillant au sein d’un marché de substitution et les conséquences qui en découlent quant au droit de suivi de leur exécution par ce dernier.

En l’espèce, la communauté de communes d’Erdre et Gesvres (ci-après, la «Communauté de communes ») avait entrepris en 2006 de réhabiliter et reconvertir un centre de tri postal et de détruire un centre de secours attenant à ce bâtiment afin de permettre à un office public de l’habitat (ci-après, l’ « OPH ») d’y construire des logements sociaux. Afin de faciliter la réalisation de ce projet, la Communauté de communes a conclu une convention de mandat par laquelle elle a confié à l’OPH la mission de conduire en son nom et pour son compte l’opération dont elle était maître d’ouvrage.

Dans chacune de ces deux opérations, l’OPH a conclu un marché public de travaux dont la société CBI a remporté le lot « gros œuvre ». Dans le cadre de l’exécution de ces marchés, estimant que la société CBI n’avait pas déféré à la mise en demeure qu’il lui avait été faite d’achever les travaux et de reprendre toutes les malfaçons les affectant, l’OPH a résilié les marchés à ses frais et risques. L’OPH a ensuite conclu un marché portant sur le lot « gros œuvre » avec la société Eiffage ainsi que des avenants pour un certain nombre d’autres lots, afin de tenir compte des malfaçons relevées sur le lot précité.

A l’issue des travaux, l’OPH a notifié à la société CBI les décomptes généraux de ces marchés, lesquels présentaient des soldes débiteurs notamment en raison de l’application de pénalités et de la retenue des sommes au titre de l’ensemble des travaux de reprise. Après avoir vainement contesté ces sommes par un mémoire en réclamation, la société CBI a saisi le tribunal administratif de Nantes qui, par un jugement du 26 septembre 2018, a rejeté sa demande. Par un arrêt du 25 octobre 2019, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête d’appel de la société CBI laquelle a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt litigieux.

La société CBI contestait notamment les sommes mises à sa charge au titre des travaux de reprise des malfaçons alors qu’elle n’avait pas été en mesure d’assurer le suivi desdits travaux.

En effet, l’OPH avait inclus des travaux de reprise dans le marché de substitution et se posait donc les questions de savoir s’il disposait d’une telle faculté et, le cas échéant, si la société CBI disposait alors d’un droit de suivi de ces travaux de reprise.

Afin de trancher ces questions, le Conseil d’État commence par rappeler sa jurisprudence relative aux conditions de recours aux marchés de substitution (CE, Ass., 9 novembre 2016, Société Fosmax, n° 388806 : en matière de marchés de travaux ; CE, 18 décembre 2020, Société Treuils et Grues Labor, n° 433386 : en matière de marchés de fournitures) en jugeant qu’il résulte des stipulations du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (en sa version de 1976 applicable au litige) et « des règles générales applicables aux contrats administratifs que le maître d’ouvrage d’un marché de travaux publics peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l’exécution des prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l’achèvement des travaux à un autre entrepreneur aux frais et risques de son cocontractant. La mise en œuvre de cette mesure coercitive n’a pas pour effet de rompre le lien contractuel entre le pouvoir adjudicateur et son cocontractant et ne saurait être subordonnée à une résiliation préalable du contrat. Le cocontractant défaillant doit être mis à même de suivre l’exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les montants découlant des surcoûts supportés par le maître d’ouvrage en raison de l’achèvement des travaux par un nouvel entrepreneur étant à sa charge ».

Le Conseil d’État prend ensuite soin de distinguer ces marchés de substitution des marchés portant sur la seule reprise des malfaçons en énonçant que « les contrats passés par le maître d’ouvrage avec d’autres entrepreneurs pour la seule reprise de malfaçons auxquelles le titulaire du marché n’a pas remédié ne constituent pas, en principe, des marchés de substitution soumis aux règles énoncées au point précédent et, en particulier, au droit de suivi de leur exécution ».

Après avoir énoncé cette distinction, le Conseil d’État tranche la première problématique juridique soulevée par le pourvoi en jugeant qu’il « est loisible au maître d’ouvrage qui, après avoir mis en régie le marché, confie la poursuite de l’exécution du contrat à un autre entrepreneur, d’inclure dans ce marché de substitution des prestations tendant à la reprise de malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées ».

Cette faculté du maître d’ouvrage consacrée, la haute juridiction se prononce ensuite sur la seconde problématique portant sur le droit de suivi de l’entrepreneur défaillant sur les travaux exécutés dans le marché de substitution. En effet, dans l’hypothèse où le maître d’ouvrage intègre dans le marché de substitution des prestations portant sur la reprise de malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées, se pose la question de savoir si le droit de suivi de l’entrepreneur défaillant porte sur les seuls travaux restants à exécuter, à l’exclusion des travaux tendant à la reprise de malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées, ou s’il porte sur l’intégralité des prestations du marché de substitution.

Suivant les conclusions du rapporteur public sous cette affaire (M. Le Corre, Ccls sous CE, 27 avril 2021, Société CBI, n° 437148) faisant état de la difficulté de distinguer en pratique entre l’achèvement de travaux déjà réalisés et la réparation de malfaçons affectant des ouvrages déjà réalisés, le Conseil d’État tranche en faveur de la seconde solution en jugeant que « dans ce cas [intégration par le maître d’ouvrage de travaux de reprise de malfaçon dans le marché de substitution], le droit de suivi du titulaire initial du marché s’exerce sur l’ensemble des prestations du marché de substitution, sans qu’il y ait lieu de distinguer celles de ces prestations qui auraient pu faire l’objet de contrats conclus sans mise en régie préalable ».

Appliquant les principes ainsi dégagés au cas d’espèce, il conclut « qu’en jugeant qu’il ne résulte d’aucune stipulation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ni d’aucune règle générale applicable aux contrats administratifs que, lorsque l’entrepreneur dont le marché est résilié n’a pas exécuté les travaux de reprise des malfaçons prescrits par le pouvoir adjudicateur, il disposerait du droit de suivre l’exécution de ces mesures, alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’il bénéficie de ce droit lorsque ces travaux de reprise sont inclus dans un marché de substitution destiné à la poursuite de l’exécution du contrat, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit ».

Il annule ensuite l’arrêt litigieux en tant qu’il statue sur les conclusions de la société CBI relatives aux sommes mises à sa charge au titre des travaux de reprise des malfaçons et renvoie l’affaire dans cette mesure devant la cour administrative d’appel de Nantes.